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internationales, empêcha que le procédé de Leblanc ne fût d’abord connu au-delà de la frontière. L’Angleterre, que son organisation industrielle mettait particulièrement à même de l’exploiter avec avantage, et qui en retire aujourd’hui de grands profits, ne le connaissait pas encore ; l’impôt énorme que la situation du budget anglais avait fait établir sur le sel (trente fois la valeur de cette denrée) s’opposait d’ailleurs à ce que la fabrication de la soude se développât dans la Grande-Bretagne. Ce n’est qu’en 1823, année où l’impôt sur le sel marin fut supprimé, que M. James Muspratt fonda une usine de soude à Liverpool. Il adopta complètement les procédés et appareils de Leblanc. Cette usine est encore l’une des plus grandes fabriques de produits chimiques qui existent en Angleterre et probablement dans le monde entier.


II

Il nous reste à exposer sommairement l’ensemble des réactions sur lesquelles repose le procédé de Leblanc. Nous aurons en même temps l’occasion de montrer les difficultés que les manufacturiers ont eu à vaincre, les produits chimiques dont les soudières ont déterminé ou favorisé la fabrication en grand et les étroites relations qui existent entre cette industrie et toutes les autres industries chimiques. Lorsque l’on attaque le sel marin par l’acide sulfurique, il se dégage un gaz acide, et il reste du sulfate de soude. Du temps de Leblanc, cette réaction était connue et utilisée, par exemple à Javelle, pour la production de l’acide muriatique ; mais on ignorait la composition de cet acide qui se forme et s’échappe à l’état de gaz pendant l’action de l’acide sulfurique : on le nommait, faute de mieux, acide muriatique, et le sel marin était considéré comme une combinaison de cet acide muriatique et de la soude. On supposait donc que l’acide sulfurique, déplaçant simplement l’acide muriatique, se combinait ensuite avec la base alcaline : c’était une erreur. On sait aujourd’hui que le sel marin est du chlorure de sodium, c’est-à-dire qu’il se compose uniquement de sodium et de chlore, et que l’acide muriatique est composé d’hydrogène et de chlore. La réaction de l’acide sulfurique sur le sel marin n’aurait donc pas lieu, ce que ne soupçonnaient ni Leblanc ni aucun des chimistes de son époque, sans l’intervention de l’eau. Cette eau, en se décomposant, fournit de l’oxygène au sodium et de l’hydrogène au chlore du sel marin, donnant ainsi de la soude qui se combine à l’acide sulfurique et un gaz qui se dégage, — l’acide muriatique, ou, pour employer l’expression plus exacte de la nouvelle nomenclature, l’acide chlorhydrique. Sans eau, pas de réaction ; heureusement il y a toujours de l’eau dans l’acide sulfurique que