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soude de ce sulfate, Alban le faisait chauffer dans un four à réverbère avec du fer et du charbon. Ce moyen avait été proposé par Malherbe, ancien bénédictin, dès 1777.

Parmi ceux qui exploitèrent le procédé de Leblanc, le premier en date fut J.-B.-P. Payen. Il venait de perdre la charge, récemment acquise, de substitut de procureur du roi à Paris, quand il prit la résolution de se consacrer aux industries chimiques, qui naissaient alors et offraient un vaste champ aux intelligences sans emploi. Il établit en 1794 une usine dans la plaine de Grenelle, alors déserte[1]. Il était déjà parvenu à y fabriquer économiquement le sel ammoniac, qu’on tirait autrefois d’Égypte, et obtenait également comme résidu de cette fabrication le sulfate de soude ; c’est même le sulfate de soude de l’usine Payen que la commission employa dans les expériences auxquelles elle se livra sur le procédé Alban dans l’usine de Javelle. Payen ne fit pas comme Alban, il adopta le procédé Leblanc, sans y changer autre chose que la dimension des appareils, qu’il agrandit de manière à porter la production journalière de chaque four de 672 à 4,340 kilogrammes. Le procédé Leblanc fut successivement exploité ensuite dans les usines d’Alban à Javelle, de Gautier-Barrera, Anfry et Darcet, puis dans les soudières mieux situées de Marseille, de Chauny, de Rouen. Il fut bientôt évident que le danger était conjuré : les armées de terre et de mer de l’Europe ne pouvaient empêcher l’Océan et la Méditerranée d’apporter sur nos côtes l’eau salée ; nous ne pouvions jamais manquer de sel marin, par conséquent jamais manquer de soude. Peu d’années après, nous en produisions assez, non-seulement pour n’avoir rien à demander à l’importation, mais encore pour lui interdire rigoureusement notre marché, d’après les idées protectionistes du temps. Le Journal des Débats, qui était à cette époque le journal de l’empire, publiait le 20 juillet 1810 ce laconique décret, qui permet de mesurer l’espace parcouru en quinze années par l’industrie naissante : « L’entrée de la soude étrangère et des savons étrangers est prohibée par toutes les frontières de terre et de mer de l’empire français, » C’était là, pour les nations qui alimentaient autrefois notre pays de soude, un résultat inattendu de l’interdit dont elles nous avaient frappés. Il ne leur fut même pas donné de pouvoir installer immédiatement chez elles une fabrication qui nous avait affranchis de leur onéreux concours. L’état de guerre, en supprimant presque entièrement les relations

  1. On n’y voyait, au milieu de rares bouquets d’arbres poussant dans le sable, qu’une seule maison d’habitation, un ancien rendez-vous de chasse du prince de Conti. La même propriété avait appartenu plus tard à Quidor, surintendant de police. L’activité du surintendant Quidor était proverbiale ; on le nommait « Quidor qui ne dort pas. »