Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/953

Cette page n’a pas encore été corrigée
949
LES SEPT CROIX-DE-VIE.

nait point ; encore avait-on imaginé un moyen de la frauder dans sa disposition première, et le mariage allait avoir lieu non dans la maison commune, mais dans la salle du château. Le maire de Croix-de-Vie était là, un paysan, un chapeau noir, qui lut en ânonnant les articles du code barbare. Les témoins étaient des paysans aussi ; pas un gentilhomme à la fête. On se dirigea vers la chapelle. L’abbé de Gourio attendait ; il n’anonnait point comme le maire, mais il tremblait en récitant l’office ; il s’avança vers les fiancés agenouillés, demandant à Mlle de Bochardière si elle consentait à prendre pour époux Martel VI, marquis de Croix-de-Vie. — Oui, dit Violante d’une voix ferme, profonde et claire qui vibra jusqu’au fond de la chapelle. — Oui, murmura le marquis.

— Vive la marquise Violante ! — Les cris et les coups de feu retentirent de nouveau dans la cour et dans la chênaie, tandis que les époux sortaient du saint lieu. Violante marchait appuyée maintenant sur le bras de Martel. Lorsqu’on fut rentré dans la grande salle, les serviteurs s’éloignèrent. M. de Bochardière embrassa sa fille ; il la regardait, il contemplait son ouvrage, il reculait pour, mieux voir cette enfant sortie de lui qu’il avait faite marquise. La douairière frappa du pied avec une feinte impatience et se mit à rire ; elle sentait son âme défaillir ; il lui restait à remplir la plus cruelle partie de sa tâche, et elle voulait abréger son supplice. Elle s’approcha de la jeune marquise, lui dit un mot à l’oreille et l’entraîna ; mais Martel alors s’avança vers Violante, lui saisit la main et la baisa. La douairière repoussa doucement son fils, car Violante ne songeait pas à retirer sa main.

Une heure après, tout était rentré dans le silence, tout dormait ; Chesnel faisait sa ronde dans le château. Il sortait de l’aile droite où l’on avait disposé l’appartement de la nouvelle dame de Croix-de-Vie. Le vieux chouan eut bien envie de faire une prière devant cette porte close ; mais il s’éloigna discrètement, traversa la longue enfilade des chambres et des salles vides, et arriva, dans l’aile gauche, à la salle des gardes, qui précédait la galerie du nord, habitée la veille encore par le marquis. Il allait y pénétrer sans précaution, la croyant déserte ; au moment de soulever la portière qui en masquait l’entrée, il recula. H venait d’entendre les pas de Martel VI dans la galerie : il crut rêver, prêta de nouveau l’oreille ; le marquis était bien là. Chesnel recula encore, éteignit son flambeau et se cacha dans l’ombre la plus épaisse, entre le retrait formé par l’enfoncement d’une croisée et l’angle de la cheminée monumentale soutenue par les chevaliers de pierre. Il attendit dans sa cachette le passage de son maître, ne voulant point douter d’abord qu’il allait se diriger vers l’appartement de la jeune marquise ; il attendit vainement jusqu’au matin.