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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

l’eussiez vue lever les épaules d’un air de douce pitié : elle songeait que la chasse devait être finie, que Martel, après tout ce bruit et tout ce carnage, se retrouvait sans doute en ce moment même en face de son bonheur si prochain, et qu’il en avait encore peur. Rêveur opiniâtre qui tiens dans tes mains la coupe pleine, que crains-tu donc, si ce n’est de ne point arriver à l’ivresse ? Mais elle était là pour lui enseigner à être heureux, pour lui commander d’abjurer le vieil homme à ses pieds, — et de la dépouille d’autrefois de ne garder que le visage. L’homme nouveau qu’elle allait faire de toutes pièces lui devrait tout, et d’abord l’obéissance. Elle ne voulait de partage ni dans sa volonté ni dans son cœur, et dix jours auparavant, auprès des charmilles, dans la forêt, elle l’avait averti qu’il prenait un maître. Ce n’était pas assez encore, il ne lui suffisait pas de penser qu’elle serait le guide de son âme, la règle de toutes ses actions, sa loi vivante ; elle se rappela le langage insensé que Lesneven lui avait tenu le même jour dans leur étrange entrevue. La passion de Martel n’était pas capable apparemment de moins de folie. Et Violante se prit à sourire et se dit : Je veux être son étoile.

En ce moment, elle passait devant un meuble ; elle y prit un billet qu’elle avait déjà tout le matin chiffonné et roulé entre ses doigts. La marquise le lui avait adressé ; la marquise était la première femme du monde pour écrire de jolis billets comme pour tourner de vive voix de jolies choses. Dans celui-ci, elle parlait à Violante de l’émotion qu’elle devait ressentir à cette heure. Oui, c’était une grande émotion, mais pure, mais libre, mais simple. Violante relut ces quelques lignes, elle ne les entendait pas bien. Ce trouble qu’elle devait éprouver, si elle en croyait ce billet délicat, il lui semblait que c’était non pas elle, mais bien plutôt la marquise qui en était atteinte. Un sentiment d’indéfinissable tristesse perçait sous ces phrases mignardes ; cela. Violante le comprenait mieux. La mère ne pouvait remettre sans regret à la fiancée la tâche sacrée où elle avait été impuissante, ni penser sans amertume qu’une autre y serait plus heureuse qu’elle-même. Mme de Croix-de-Vie eût bien moins étonné Violante qu’elle ne le croyait en lui avouant qu’elle était jalouse.

Sur le lit, blanche, légère comme une nuée, parée au corsage de la fleur mystique, était étendue la robe de mariée. Violante en prit machinalement la ceinture dans sa main et demeura longtemps les yeux noyés dans une vapeur qui brillait comme un voile humide au-dessus de la source des pleurs ; mais que ces larmes retenues au passage étaient belles, et douces, et fortifiantes encore !… Que voulait donc dire Mme de Croix-de-Vie dans son subtil langage quand elle parlait d’appréhensions et de peur ?…