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meurait caché à son ennemi, la taille divine de Violante au-dessus de la haie. Elle tournait le dos au bois, assise sur un banc placé à l’extrémité des jardins. Le jeune homme porta la main à son cœur pour en comprimer les battemens qui l’étouffaient, mais il ne s’arrêta point. Chesnel de son côté gagnait lentement l’angle de la charmille, rampant toujours sous les houx.

Violante rassemblait tout son courage pour l’étrange combat qu’elle allait avoir à soutenir ; elle savait que Lesneven approchait. Elle était venue à cette place près de la forêt parce qu’elle avait appris que, durant toute la soirée de la veille et depuis le matin, il errait aux alentours du manoir. Trois fois elle-même, du haut des fenêtres et des terrasses, elle l’avait vu. Les valets l’avaient aperçu sans le reconnaître sous le nouvel habit qu’il portait, et elle se souvenait en tremblant des menaces de Chesnel. Lasse enfin de l’opiniâtreté de ce hardi jeune homme, émue d’un mélange indéfinissable de compassion, de curiosité et d’impatience, elle avait résolu de se rencontrer sur son passage et de lui dire : Que me voulez-vous ?… Mais à peine était-elle arrivée au bord du bois que cette grande résolution avait déjà perdu à ses yeux tout le mérite qu’elle lui trouvait au moment où elle l’avait prise. Elle se demandait si sa conduite était sensée. Pour les bienséances, elle n’y songeait point. Ce n’était pas de bienséances qu’il s’agissait, c’était de prudence, car elle ne pouvait guère douter du véritable motif qui ramenait et retenait Lesneven dans le voisinage du manoir ; elle n’avait pas oublié ses regards le jour de l’assaut dans la cour de Bochardière. Le rouge à cette pensée lui monta au front ; elle eut un mouvement d’épaules et involontairement se prit à examiner la haie de charmes qui séparait les jardins de la forêt. Cette charmille n’était haute que de quatre pieds tout au plus ; un homme agile pouvait la franchir d’un bond. Mlle de Bochardière sourit et dit : Il ne l’oserait pas !

Puis elle s’assit sur le banc, abattue et presque tremblante. Quelle nuit, quelle matinée elle venait de passer ! Où donc était cette belle paix qu’elle se promettait la veille ? Alors elle songeait avec délices que c’en était fait à jamais de son intervention passagère et forcée dans toutes ces choses sauvages dont elle était entourée ; alors elle défiait toutes les puissances du monde de la contraindre à s’y mêler désormais, elle en défiait même les mouvemens de son cœur. Alors Croix-de-Vie avait quitté le manoir, mais Lesneven avait paru, et avec lui revenait la légende.

Elle devait donc encore une fois remettre au lendemain l’espoir de recommencer à vivre de la vie simple, droite, vraie, qu’elle aimait, la vie de la raison, et les fantômes avaient, bon gré, mal