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modifie. Les promoteurs du système irlandais ne se font à cet égard aucune illusion. Ce qu’ils affirment, c’est que la masse des condamnés est essentiellement susceptible de réforme, qu’elle se prête, quand on sait en tirer parti, à un certain degré d’instruction, que des instituteurs intelligens peuvent l’assujettir à certaines études, et même lui en donner le goût, que le condamné peut être amené à comprendre sa position et à s’efforcer d’en sortir, qu’il peut être mis de moitié dans la peine qu’on se donne pour l’éclairer et le réformer, qu’une heureuse alternative de rigueur et d’indulgence produit presque infailliblement ce résultat, en lui créant des motifs de craindre et des motifs d’espérer, que le système des marques, des primes en argent, la classification des prisons, l’espoir d’une libération anticipée[1], la surveillance exacte pendant cette période et même au début de la libération définitive lui fournissent amplement ces mobiles salutaires. Ils l’affirment, et dix ans consécutifs d’expériences couronnées de succès semblent leur donner raison.

Les vices du système anglais, conçu dans les mêmes idées, en vertu des mêmes lois que son rival, sont énumérés par le capitaine Whitty, qui les avait pratiqués tous deux, puisque avant de prêter son aide à sir W. Crofton il gouvernait la prison de Portland. Le régime cellulaire, par lequel s’inaugure la captivité des prisonniers, n’est pas assez rigoureux, ne répond pas assez à l’idée de châtiment et d’expiation. Le second stage, l’ère du travail en commun, n’est pas gradué comme en Irlande, et ne stimule point par d’aussi fréquentes promotions le zèle naissant du convict. De même, en Irlande, on n’accorde en premier lieu que des primes insignifiantes, et les avantages pécuniaires de quelque importance sont réservés aux condamnés parvenus, non sans peine, dans les classes privilégiées. Enfin, — et c’est le trait principal, — l’Angleterre n’a pas encore institué ces établissemens intermédiaires (intermediate prisons) où le captif, s’essayant à la liberté, dont il jouit en partie, s’efforce de mériter la confiance qu’on lui témoigne, apprend à se passer du joug matériel et se plie volontairement à une discipline dont sa conscience renouvelée lui impose le respect.


Si ingénieux qu’ils soient, si bien combinés qu’ils s’offrent à nous, ces mécanismes pénitentiaires laissent une ample marge au

  1. Sir W. Crofton s’est cependant prononcé contre ce genre de prime offert à la bonne conduite des prisonniers. Ses raisonnemens à ce sujet ne nous ont point semblé concluans. Lord Neaves, un des présidens de la Social Science Association, nous semble mieux inspiré quand il établit une différence entre la libération anticipée, simplement octroyée comme elle l’est en Angleterre ou en Écosse, à titre pour ainsi dire gratuit, et cette même libération, sérieusement gagnée par le convict, à la sueur de son front, comme il arrive en Irlande. (Voir au surplus Our Convicts, t. II, p. 121.)