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En supposant même qu’il ait encouru quelques punitions, si sa conduite dans les derniers temps a été satisfaisante, le gouverneur obtient aisément, sur un rapport favorable, remise des journées supplémentaires dont on devrait en bonne règle lui tenir compte. Il est donc remis en liberté, mais au grand détriment de l’ordre et de la sécurité publique. De ceci malheureusement il n’y a pas à douter, les statistiques, les enquêtes l’ont établi de la manière la plus positive. Ce magnifique outillage de la pénalité perfectionnée, adoucie au-delà du nécessaire, entretenu à si grands frais et par des fonctionnaires d’un incontestable mérite, fournit chaque année un contingent régulier à la grande armée du crime. La machine est admirablement montée, les engrenages fonctionnent avec une régularité irréprochable ; mais de leur jeu savant et surveillé avec l’attention la plus scrupuleuse résulte exactement le contraire de ce qu’on en pouvait attendre. Ces condamnés qu’on a voulu ramener au bien par toute sorte de ménagemens et d’égards, dont on a respecté les préjugés, consulté les goûts, reconnu les privilèges, sortent plus gangrenés que jamais de ces prisons où ils rentreront sans qu’il leur en coûte beaucoup, si les conseils qu’ils y ont reçus, les enseignemens qu’ils y ont pris tout à loisir n’ont pas assez fructifié pour leur assurer les bénéfices de l’impunité. Somme toute, il n’y a pas eu châtiment, et la réforme est encore à venir. On n’a produit ni terreur ni repentir. Le double but de toute pénalité bien entendue se trouve ainsi manqué. L’œuvre de régénération serait-elle donc impossible ? Pas le moins du monde. Cette œuvre a été tentée, a été réussie dans des conditions bien moins favorables. Écoutez plutôt.

Il existe à Valence (Espagne) une maison de force, longtemps dirigée par le colonel Montesinos. Doué d’une de ces natures à la fois énergiques et patientes que rien ne décourage et ne lasse, cet homme se donna pour mission de réformer les prisonniers par eux-mêmes ; un instinct spécial lui fit pressentir que dans les natures en apparence les plus réfractaires il y a presque inévitablement un côté accessible et qui donne prise. Il sut convaincre ses malheureux subordonnés de l’intérêt tout personnel qu’ils lui inspiraient. Pour les ramener dans le bon chemin, il trouva, il inventa et il sut appliquer les principes aujourd’hui vulgarisés par la pratique la mieux entendue. Un règlement bien fait assura au travail des prisonniers un salaire dont ils touchaient immédiatement une portion minime ; on leur témoignait, après quelques épreuves, une certaine confiance qui les relevait à leurs propres yeux, et dont ils étaient d’autant plus flattés qu’elle était plus inattendue. Autant que possible, nul recours à la force matérielle. Montesinos regardait comme une sorte de