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volonté du législateur. Si on dressait la liste exacte des arrêts de mort ainsi substitués à des sentences bien moins rigoureuses, si on essayait de résumer par la pensée les souffrances infligées et subies à tort, les santés détruites par d’inutiles angoisses, les révoltes intérieures dont l’explosion ruinait définitivement une raison déjà ébranlée, ce lugubre tableau laisserait bien loin toutes les exagérations poétiques dont les cercles infernaux ont fourni le sujet.

Pendant des siècles, on suivit sans remords cette voie fatale. L’adoucissement graduel des mœurs, la culture et les développemens de l’intelligence, le raffinement des habitudes, laissaient en dehors d’eux, sous le voile noir qui semblait les dérober aux regards et à la pitié des peuples, les criminels mis au ban de toute sympathie, et livrés sans défense, sans garantie aucune, à des gardiens que leur contact avait abrutis, endurcis, ramenés au même niveau, et confondus avec les misérables soumis à leur ignoble tyrannie. Sous Louis XV et même sous Louis XVI, on retrouvait atténuée, mais encore vivante, la tradition des cages de fer où Louis XI courbait en deux ses victimes, et du poinçon rougi au feu qui, sous Louis IX, perçait la langue des blasphémateurs. Damiens, comme Ravaillac, fut tiré à quatre chevaux ; Mandrin périt brisé sur la roue. Ce qu’étaient les chiourmes de Marseille et de Brest, nul ne l’ignore. La révolution survint qui, de ce bagage historique, fit trophée ou litière ; elle combla les oubliettes, elle nota d’infamie la torture, elle effaça des codes ou plutôt des coutumes tout ce qui blessait les notions philosophiques du temps. Elle fit, en un mot, le plus gros de la besogne que le christianisme lui avait léguée on ne sait pourquoi ; peut-être aurait-elle complété son œuvre, si quelque répit lui eût assuré la pleine possession d’elle-même. Le temps et le pouvoir venant à lui manquer, — et ses principes, ses mobiles n’étant plus ceux des régimes politiques au profit desquels son autorité avait été confisquée, — l’œuvre réparatrice demeura comme suspendue. Sous des apparences moins choquantes, avec un vernis extérieur d’ordre et de décence, les prisons, mieux réglementées quant à la discipline, assujetties à plus de contrôle et de surveillance, n’offrirent plus un spectacle aussi révoltant, mais n’en restèrent pas moins, à beaucoup d’égards, ce qu’elles avaient été vers la fin du XVIIIe siècle. Il n’est guère besoin d’insister sur ce point ; le plus superficiel de nos lecteurs sait sans doute quelque chose des hideux abus signalés dans les bagnes de l’empire, comme dans ceux de la restauration, et personne n’a jamais qualifié d’excessives les sollicitudes dont le régime pénitentiaire devint l’objet immédiatement après 1830.