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temps aux calculs d’une raison développée par l’expérience, et qui lui montre dans le respect du vaincu la meilleure garantie contre les infidélités de la victoire.

En matière de pénalité, nos idées contemporaines, si nous les jugeons d’après celles qui avaient cours autrefois, ont accompli dans le même sens une évolution aussi marquée. Pour les vaincus de la lutte sociale, il n’existait jadis aucun droit, disons plus, aucune pitié. Personne ne s’intéressait aux êtres dégradés sur lesquels la justice officielle avait prononcé des condamnations sans recours possible. Ils disparaissaient dans l’ombre des cachots, privés à jamais de toute sympathie, de toute consolation, comme de toute lumière et de tout bien-être. Nul espoir ne leur était permis. L’idée du rachat, — cette idée qui fait le fond de notre dogme religieux — offerte encore comme suprême chance au criminel qu’un hasard protecteur avait soustrait à la vindicte publique, n’existait plus, même après des années de souffrances parfois atroces, pour celui que sa mauvaise fortune avait désigné aux sévérités légales. Le premier se relevait quelquefois sans avoir expié autrement que par le remords sa faute inconnue. Le second, impitoyablement frappé, ne pouvait à aucun prix, ni par aucun repentir, se libérer de sa dette vingt fois payée. Précipité dans l’abîme, il y restait, écrasé sous la fatalité, livré aux mauvais conseils du désespoir, à la décourageante certitude d’une irrévocable déchéance. Ce qui s’accumule de haine, de muettes fureurs, d’anathèmes comprimés, d’aspirations vengeresses, de fermentations sanguinaires dans ces âmes éperdues, qui jamais le pourra dire ? Mais personne n’y songeait, ou ne s’en inquiétait. Il était encore, trop de misères innocentes pour qu’on prît garde aux misères coupables. Celles-ci étaient méritées, en principe du moins, et la loi sauvage du talion les faisait regarder comme toujours équitables. Dans tel ou tel cas exceptionnel, quelques esprits scrupuleux protestaient à demi-voix contre la disproportion flagrante du délit et de la peine ; mais en général on ne mesurait pas l’un à l’autre, ou on les pesait dans des balances tellement faussées par la rudesse des mœurs et la droiture brutale d’une logique sans nuances, que jamais un élan d’opinion nettement accusé ne fit sentir le besoin d’une réforme essentielle. Les prisons, ces horribles prisons d’autrefois, dont le type suprême était chez nous la Bastille et les deux Châtelets, restaient sous le régime d’un arbitraire odieux. La simple négligence d’un geôlier, — quand ce n’était pas le fait d’une préméditation hostile, — ajoutait fréquemment aux rigueurs prévues et ordonnées par le juge chargé de sévir tels supplices, telles tortures physiques ou morales qui excédaient et les nécessités de la répression et la