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— Eh bien ! prends-moi !

Ses bras m’enlacèrent de nouveau ; je perdis terre, et nous recommençâmes à voler.


VI

— Où veux-tu aller ? me demanda-t-elle.

— Tout droit devant nous.

— Mais voici une forêt.

— Passons au-dessus ; mais pas si vite.

Aussitôt nous nous élevâmes en tournoyant comme la bécasse qui gagne la cime d’un bouleau, puis nous reprîmes la ligne droite. Ce n’étaient plus les herbes, c’étaient les sommets des grands arbres qui semblaient glisser sous nos pieds : étrange spectacle que cette forêt vue d’en haut avec ses sommités hérissées qu’éclairait la lune ! On eût dit un énorme animal étendu, endormi et ronflant avec un grondement sourd et indistinct. Par momens nous passions au-dessus d’une clairière, et j’admirais la ligne d’ombre dentelée que projetaient les arbres. De temps en temps un lièvre faisait entendre son cri plaintif. Plaintif aussi était le chant de la chouette. L’air nous apportait les effluves des champignons, des bourgeons, de l’herbe humide. La lune nous versait les flots de sa froide lumière, et les étoiles brillaient scintillantes au-dessus de nos têtes. Bientôt la forêt disparut derrière nous. Nous vîmes une plaine où se dessinait une longue ligne de vapeur grise : elle marquait le cours d’une rivière. Nous suivîmes une de ses rives au-dessus de buissons affaissés sous la rosée. L’eau tantôt reluisait d’un éclat bleuâtre, tantôt tourbillonnait sombre et menaçante. Par places, quelques flocons de vapeur tremblotaient au-dessus du courant. Je voyais çà et là des lis d’eau étaler leurs blancs pétales, montrant leurs trésors de beauté comme des vierges qui se croient à l’abri de tout outrage. Je voulus cueillir une fleur, et déjà je touchais presque le miroir de l’eau, mais une humidité désagréable me jaillit au visage au moment où j’arrachais la rude tige d’un lis.

Nous nous mîmes à voler d’une rive à l’autre à la manière des courlis, et de fait nous en faisions lever à chaque instant. Plus d’une fois nous passâmes au-dessus de jolies nichées de canards sauvages, rassemblés en un petit groupe au milieu des roseaux. Ils ne s’envolaient pas. Un d’eux retirait précipitamment sa tête de dessous son aile, regardait, regardait,… puis, non sans peine, remettait son bec sous le duvet soyeux, tandis que ses compagnons laissaient échapper un faible couin, couin. Nous réveillâmes un héron dans un buisson de cytise. En le voyant sauter en pieds et