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C’était bien elle, ma visiteuse nocturne. Au moment où je m’approchai d’elle, la lune sortit du nuage qui l’obscurcissait. Le fantôme me parut formé d’un brouillard laiteux, à demi transparent. Au travers de son visage, je distinguais derrière sa tête une ronce balancée par le vent. Seulement ses yeux et ses cheveux étaient d’une teinte plus sombre. J’observai encore qu’à un de ses doigts, tandis qu’elle tenait ses mains entre-croisées, elle avait un petit anneau d’or, pâle et brillant. Je m’arrêtai à deux pas d’elle et voulus lui adresser la parole, mais ma voix expira dans ma gorge, et pourtant ce n’était pas précisément une sensation de terreur que j’éprouvais. Elle tourna ses yeux vers moi. Son regard n’exprimait ni la tristesse ni la gaîté, rien qu’une attention morne. J’attendais qu’elle parlât, mais elle demeurait muette, immobile, attachant sur moi un regard fixe et mort.

— Me voici ! m’écriai-je enfin d’un effort suprême. Ma voix retentit avec un son sourd et rauque.

— Je t’aime, répondit-elle de sa petite voix.

— Tu m’aimes ! m’écriai-je stupéfait.

— Donne-toi à moi, dit-elle.

— Me donner à toi ! mais tu es un fantôme, tu n’as pas de corps ! — Toutes mes idées étaient bouleversées. — Qui es-tu ? Une vapeur, un brouillard, une forme aérienne ?… Que je me donne à toi !… D’abord apprends-moi qui tu es. As-tu vécu sur la terre ? D’où viens-tu ?

— Donne-toi à moi. Je ne te ferai pas de mal. Dis seulement ces deux mots : Prends-moi.

Je la regardais ébahi. — Que me dit-elle ? que signifie tout cela ? . pensais-je. Tenterai-je l’aventure ?…

— Eh bien ! m’écriai-je tout d’un coup et avec une force inattendue, comme si quelqu’un m’eût poussé par derrière : Prends-moi !

À peine avais-je prononcé ces mots que la mystérieuse figure, avec un sourire intérieur qui fit trembler un instant tous ses traits, s’avança vers moi ; ses mains se désunirent et s’allongèrent… Je voulus sauter en arrière, mais déjà j’étais en son pouvoir. Elle me tenait dans ses bras ; Mon corps était enlevé de terre d’une demi-archine, et tous deux nous volions modérément vite au-dessus de l’herbe immobile.


V

Tout d’abord la tête me tourna, et involontairement je fermai les yeux. Quand je les rouvris un moment après, nous volions toujours, et déjà je ne voyais plus mon bois. Au-dessous de nous s’étendait