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suffira-t-il point de savoir qu’elle a parfaitement réussi auprès des peaux-rouges, et que dans l’école normale des femmes missionnaires du nord de Londres, north London female missionary training Institution, une heure a suffi aux élèves pour lire à l’aide de ces nouveaux signes une langue qui leur était tout à fait inconnue ? S’il faut en croire M. Hunt, toute Anglaise ayant accès près des femmes de l’Orient peut, d’après le même procédé, leur apprendre en quelques visites à tromper par la lecture l’accablant ennui d’une vie oisive. Il semble en outre espérer que cette nouvelle écriture si simple détrônera un jour nos caractères typographiques et supprimera ainsi, jusque dans nos écoles, un des obstacles qui arrêtent longtemps l’esprit de l’enfance.

Si florissantes que soient les missions anglaises, elles ont trouvé chez nos voisins eux-mêmes plus d’un adversaire. L’œuvre que l’on poursuit vaut-elle bien l’argent et les efforts qu’elle coûte à la nation ? La Grande-Bretagne ne ferait-elle pas mieux de consacrer toutes ses ressources à éclairer ses propres enfans ? Les missionnaires n’ont-ils pas en certains cas sacrifié aux intérêts de la foi les intérêts mêmes de l’humanité en apportant la guerre et la division au sein de populations tranquilles ? Ces objections, dont on ne saurait méconnaître la force, ne doivent pas néanmoins nous faire perdre de vue des services réels. Les messagers de l’Évangile ont fixé par l’écriture des langues qui, abandonnées à la tradition orale, n’auraient peut-être pas tardé à disparaître ; ils ont ouvert des régions inconnues et préparé aux voyageurs futurs un champ plus facile de découvertes, car pour le barbare converti au christianisme l’étranger n’est plus un ennemi. Guidés par un esprit de sagesse, quelques missionnaires anglais se sont d’ailleurs moins attachés dans les commencemens à intervenir dans la religion des indigènes qu’à les attirer vers la lumière par les relations de commerce, le bien-être et les séductions des arts utiles. Tout le monde n’est-il point intéressé à rétrécir de plus en plus le cercle de la barbarie et de la superstition ? Il n’y a que l’ignorance qui soit impie. La propagande anglaise a d’un autre côté forcé les peuples de l’Asie à comparer leurs dogmes avec les nôtres et à renouer ainsi la chaîne d’or des traditions sacrées. La Bible, présentée aux Indiens comme le vrai Véda, a peut-être eu à souffrir de certaines attaques ; mais au fond l’esprit humain y a gagné. La religion, telle qu’on aime à la concevoir, doit aussi bien que la science tenir compte de tous les monumens, de toutes les traditions, et dégager les rayons de l’idéal disséminés dans toutes les croyances qui réchauffent la face de la terre.


ALPHONSE ESQUIROS.