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devenus si barbares ! » Ce n’est pas au reste seulement l’alimentation, c’est l’ensemble des mœurs qui a été modifié chez les sauvages de la Polynésie par le passage de la chasse et de la pêche à la vie pastorale.

Avant l’arrivée des Anglais, les naturels de l’Océanie n’avaient point même de mot qui répondît au bien-être domestique. Aujourd’hui quel changement, s’il faut en croire la correspondance des missionnaires[1] ! Les huttes basses et recouvertes de feuilles ont fait place à d’agréables chaumières. Embellir les habitations, c’est élever le caractère des habitans ; aussi dans certaines écoles enseigne-t-on aux-élèves ; les élémens de l’art de bâtir. Sous les toits ombragés par les bananiers, on rencontre maintenant des ustensiles de ménage, et même des sophas[2]. Les modes européennes exercent aussi un grand empire sur l’opinion des indigènes. Les Anglaises apprennent aux filles de la Polynésie à manier l’aiguille et à faire des chapeaux. Quel puissant attrait pour la coquetterie ! Plusieurs d’entre les femmes idolâtres veulent se faire chrétiennes pour être bien mises. Je me demande pourtant ce que ces chapeaux et ces robes ajoutent aux charmes des Malaises ou des négresses ; ne les transforment-ils pas plutôt en caricatures ? Chaque type de l’humanité. a un style de toilette qui est dicté par la nature. La femme de l’Océanie dans tout le luxe sauvage de la fantaisie, la tête entrelacée de guirlandes de feuilles et de fleurs, les épaules couvertes de perles bleues et de baies rouges, la taille entourée d’une natte de jonc, n’est-elle pas plus près du beau idéal de sa race que si elle était déguisée gauchement en lady ? Les missionnaires et les sauvages eux-mêmes, je dois le dire, n’en jugent point ainsi ; dans les îles, les croyances se reconnaissent aux costumes, et les modes de la civilisation obtiennent décidément l’avantage. Cet amour de la toilette développe du moins l’adresse des doigts et crée un lien avec les étrangers. N’est-ce point à eux que les femmes de la Polynésie

  1. Chaque missionnaire adresse une correspondance aux diverses sociétés de Londres. Ces archives sont extrêmement intéressantes à consulter. Quels récits de voyageurs peuvent leur être comparés ? Les missionnaires ne sont pas toujours des savans, il leur arrive de se tromper dans beaucoup de choses, leurs observations en géologie, en ethnologie et en histoire naturelle sont souvent vagues et incertaines ; mais comme ils connaissent mieux que tout autre l’esprit et les mœurs des populations au milieu desquelles ils vivent !
  2. Aucune race n’est indifférente au bien-être. John Williams était sur son vaisseau, quand sa cabine se trouva, un jour envahie et sa couche menacée par les femmes sauvages. Elles auraient bien voulu dormir dans ce lit moelleux ; mais, comme le missionnaire craignait pour la blancheur de ses draps le contact des peaux huileuses, elles durent se contenter de frotter leurs joues l’une après l’autre contre les oreillers de plume.