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devant lequel seraient traduites les questions à résoudre. Ce conseil ressuscité des amphictyons de la Grèce serait un bienfait pour les peuples. On ne voit même pas d’autre moyen d’assurer le respect dû à l’acte qui aurait été convenu et de soustraire l’Europe pour un long espace de temps au retour de l’onéreux système de la paix armée après qu’on s’en serait affranchi. La tentative d’instituer un pouvoir investi de cette haute prérogative ne serait pas une nouveauté. Dans le moyen âge, la papauté était une autorité arbitrale reconnue par les princes turbulens de ce temps-là et à plus forte raison par les peuples, pour lesquels c’était une providence tutélaire. Les sentences du saint-siège obtenaient, sinon toujours, du moins souvent, l’obéissance et le respect. La base de cette juridiction, c’est que le pape, en sa qualité de vicaire de Jésus-Christ, était le supérieur des rois, à ce point que ceux-ci fussent devant lui de simples justiciables et pussent par lui être dépouillés même du sceptre. Une pareille constitution de l’Europe a fait son temps depuis des siècles, et aujourd’hui on ne peut la mentionner que pour mémoire.

De ce système, tout ce qui peut se recommander de nos jours, c’est la pensée vraie, généreuse et toujours opportune, que la chrétienté est un grand corps où les élémens d’homogénéité sont très vivaces et mériteraient d’être consacrés par une organisation politique permanente. Ce fut cette pensée que reprirent les souverains de l’Europe en 1815 sous l’influence de l’empereur Alexandre. Malheureusement elle fut viciée par les passions réactionnaires qu’on y mêla presque aussitôt. Il en sortit la sainte-alliance, institution remarquable en elle-même, mais qui n’est plus connue de nos jours que par les tendances anti-libérales auxquelles elle s’abandonna. À ce titre, l’impopularité qui s’attache à son nom est pleinement justifiée. Aussi les amis des libertés publiques en Europe s’élevèrent-ils contre elle avec énergie, indignés qu’ils étaient de la compression qu’elle s’efforçait d’établir et de la propagande qu’elle exerçait en faveur de l’absolutisme par des expéditions comme celles des Autrichiens contre le gouvernement constitutionnel en Piémont et à Naples en 1820, et celle de la France en Espagne en 1823. La sainte-alliance fut frappée à mort par la resistance de l’Angleterre, où Canning eut le mérite de la répudier. Il en resta cependant pour les cinq grandes puissances l’usage, bon en soi, de conférer de temps en temps sur les intérêts communs et d’exercer par intermittence un arbitrage général auquel, depuis 1830 et même un peu auparavant, présida le plus fréquemment un louable esprit de modération. C’est ainsi par exemple qu’on intervint en 1828 pour sauver la Grèce de la destruction. En 1856, après la guerre de Crimée, la concorde des