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début, sont-elles en position de se procurer une pareille somme ? À cette question, la réponse ne peut être affirmative que pour la Prusse, dont les finances sont dans un état meilleur, et qui jouit d’un grand crédit. La Prusse pourrait trouver toute somme qu’il lui faudrait par le moyen de l’emprunt et de l’impôt convenablement combinés. — Jusqu’à quel point en serait-il de même de l’Autriche et de l’Italie ? Ici la scène change, et ce qui est une certitude quand il s’agit de la monarchie des Hohenzollern devient, avec ces deux autres états, extrêmement problématique. L’Autriche a fait des efforts d’une louable persévérance pour remettre l’ordre dans ses finances. Soumise au régime du papier-monnaie depuis 1848 sous la forme des billets de la banque d’Autriche, investis du privilège du cours forcé, elle a senti qu’il lui importait de s’y soustraire. Ce résultat si désirable et tant désiré était au moment d’être atteint lorsqu’ont éclaté les difficultés actuelles, et on pouvait raisonnablement se flatter de voir sous peu le papier-monnaie remplacé dans les échanges par les métaux précieux, car le cours des billets était tout près du pair ; mais déjà cet heureux symptôme est évanoui. Le papier-monnaie autrichien présente aujourd’hui un grand écart. Le pair du florin serait de 2 francs 59 centimes ; le cours du florin en papier est de 2 francs environ. Tant que persistent les causes qui l’ont déterminée, la dépréciation du papier-monnaie est comme la chute d’un bloc de rocher du sommet d’une montagne ; elle va toujours se précipitant davantage. C’est que, plus on émet de papier-monnaie, plus il se déprécie, et plus il s’est déprécié, plus forte est la quantité qu’il en faut émettre pour se procurer une même ressource effective, c’est-à-dire l’équivalent d’une même somme en or ou argent. C’est ainsi que le papier-monnaie des États-Unis pendant la guerre civile, après s’être maintenu avec une perte d’un cinquième ou d’un quart au plus pendant un long intervalle est de là descendu assez vite à une dépréciation de moitié, plus vite encore à celle des deux tiers. Si le sud, moins exténué, avait pu continuer la lutte un an de plus, la perte sur les green-backs[1] eût été vraisemblablement des cinq sixièmes.

C’est pour ce motif qu’un état qui a établi le papier-monnaie chez lui trouve très difficilement à négocier des emprunts de quelque importance. L’étranger se refuse à lui prêter, parce qu’il ne sait sur quoi compter. Les nationaux, pour y consentir, réclament de grands avantages, des privilèges exceptionnels, onéreux au trésor, et même à ces conditions ils sont fort tièdes et ne prêtent que des sommes

  1. Green-backs, dos verts. On nomme ainsi le papier-monnaie du gouvernement fédéral à cause de la couleur du papier sur lequel il est imprimé.