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et les Sardes en ont eu 16,000 et l’armée autrichienne 21,000[1]. Les maladies, la fatigue déciment les armées et font plus de victimes encore que le fer et le feu, le double pour le moins, à ce que nous apprend la statistique. Après une guerre un peu prolongée, la portion énergique et vaillante de la population, celle qui peuple les ateliers et subvient aux travaux pénibles des champs, serait donc diminuée partout. Cet effet serait plus sensible qu’ailleurs dans les pays tels que la France, où la population ne se développe qu’avec lenteur. À ce point de vue donc, la guerre, au lieu d’être un correctif de la paix armée, ne ferait qu’en aggraver les funestes effets.

Prenant la question par un autre côté, on représente que la paix armée entretient parmi les peuples la défiance et l’irritation. Il se peut qu’elle y tende, et je le crois ; mais tant que dure la paix, même armée, les peuples se visitent pour leurs affaires, leur agrément ou leur instruction : de là une tendance meilleure qui fait plus que balancer l’autre. N’est-il pas évident que, surtout depuis qu’un réseau de chemins de fer couvre l’Europe entière, les peuples, en dépit de la paix armée, de plus en plus s’apprécient et s’estiment et ont une sincère amitié les uns pour les autres. Les gouvernemens peuvent être momentanément aigris les uns contre les autres ; les nations ne les imitent pas. Dans la guerre, quand toutes les familles sont atteintes dans leurs affections les plus chères et dans leur fortune, quand aux griefs privés se joignent les griefs de la patrie, les haines nationales se ravivent, elles s’emparent des âmes, même des meilleures, elles deviennent ardentes, implacables ; la civilisation recule dans ce qu’elle a de plus majestueux, le rapprochement sympathique des peuples et des races.

Supposons la guerre déclarée. Le Rubicon est franchi, c’est alors qu’il faut résolument soutenir l’honneur national, car un échec n’atteindrait pas seulement la dignité du pays, ce serait la ruine matérielle de sa puissance. De nos jours, la guerre n’offre pas seulement les tristes et odieux caractères qui, avant notre époque, la faisaient si vivement réprouver des philosophes, des hommes vraiment religieux, des esprits libéraux, comme des commerçans et des

  1. Voici un autre terme de comparaison que fournit le même ouvrage : « Dans l’armée anglaise, dit M. Longmore, la portée des anciens fusils (les brown-bess) était de 90 yards (82 mètres), et celle des carabines de 200 yards (181 mètres). Aujourd’hui, avec les armes dites Enfield, la portée du but en blanc est de 1,000 à 1,100 yards (de 916 à 1,006 mètres). Aussi, dans la guerre de la Cafrerie, d’après l’autorité du colonel Wilford, sur 80,000 coups de fusil tirés avec les brown-bess, 25 hommes seulement ont été atteints, tandis que dans la guerre des Indes, à Cawnpore, une compagnie année de fusils Enfield mit, par une seule décharge, 69 cavaliers hors de combat. » (Rapport au conseil de santé, etc., par le docteur Chenu, p. 630.)