Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/769

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui éclaterait un de ces motifs qui dans tous les temps ont pu déterminer le choc des nations à main armée. Aucun état n’a été blessé dans son honneur, aucun ne peut raisonnablement dire qu’on vient de lui causer un grand dommage, et qu’il n’y a plus pour lui d’autre alternative que de tirer l’épée. La tempête se déchaîne sans motif avouable. Des ambitions irréfléchies, des appétits déréglés ont imprimé à l’organisme européen une soudaine commotion à laquelle il semble qu’il n’ait pas la puissance de se soustraire. Comment se fait-il que dans un siècle de lumières, dans un temps où de toutes parts la liberté est l’objet d’un culte et compte de fervens adorateurs dignes d’elle par leur talent et leur dévouement, l’Europe subisse passivement, comme un troupeau, cette impulsion qui renverse les intérêts et les met sous les pieds des passans, compromet les libertés des peuples, que le régime militaire a peu l’habitude de respecter, offense ses sentimens et heurte ses espérances en tant de genres divers ? Est-ce que la liberté serait un vain mirage, le progrès une illusion d’optique ? Après tant d’efforts héroïques pour s’affranchir, afin d’ennoblir et d’améliorer leur existence sous les auspices d’un régime libéral, les peuples de la partie la plus civilisée du monde en seraient-ils encore à dépendre absolument, servilement, d’un tout petit nombre de hauts personnages dont les volontés, les élucubrations, les fantaisies même seraient subies comme des arrêts du destin ? S’il en était ainsi, autant vaudrait vivre sous la loi du droit divin, d’après laquelle les nations n’ont qu’à courber la tête et à obéir quand un roi ou un ministre a parlé… Mais non, le spectacle auquel nous assistons en ce moment n’est pas un démenti aux tendances bienfaisantes de la civilisation et aux espérances que les peuples ont conçues depuis 1789 ; ce n’est pas le renversement du principe de la souveraineté nationale, la négation du droit qu’ont les nations de participer à la gestion de leurs propres affaires. La liberté et le progrès ne sont pas de vains mots ; ce sont de puissantes et fécondes réalités. Ce qui arrive est un de ces accidens qui sont si communs dans les affaires humaines. L’accident ne fait pas la règle. Il est un avertissement donné aux hommes pour qu’ils se la rappellent et en maintiennent l’observation par leur résolution ferme. Les peuples n’ont que les gouvernemens qu’ils méritent ; c’est une vérité qui fut de tous les temps, et qui est incontestable dans le nôtre. Ils n’ont qu’à vouloir ; mais il faut vouloir, de cette volonté vigilante, éclairée et forte qui est le propre des peuples vraiment dignes de la liberté.

Essayons pourtant de voir un peu plus au fond des choses. Rendons-nous compte des causes qui ont préparé la situation anormale