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les moyens de la faire ? Non qu’ils soient dépourvus de courage et de discipline, à cet égard je suis persuadé qu’ils feraient leurs preuves et fourniraient une honorable carrière ; mais ils manquent des ressources matérielles que la guerre réclame. La vérité, que les peuples doivent, aussi bien que les rois, se résigner à entendre, la vérité est que les Italiens, qui avaient déployé un admirable esprit de conduite avant d’être unis en un seul état, n’ont plus été les mêmes après qu’ils ont formé un seul corps, du Mincio à l’extrémité méridionale du ci-devant royaume des Deux-Siciles. La sagesse qu’on avait remarquée en eux jusque-là a éprouvé une éclipse totale sur un point essentiel, les finances. Ils n’ont pas su se faire un budget. Ils ont accumulé déficit sur déficit. Tandis que les plus habiles financiers sont unanimes à professer que l’emprunt est une ressource à réserver pour les temps de guerre, ils ont fait en temps de paix des emprunts énormes à l’étranger, en France surtout, malheureusement pour les petits capitalistes de Paris qui y ont englouti leurs épargnes. Ils ont totalement manqué de résolution pour se procurer par l’impôt des recettes en rapport avec leurs dépenses, ou pour abaisser leurs dépenses au niveau de leurs recettes possibles. Cette lourde faute, dont ils sentent la gravité maintenant, n’est pas imputable à leurs ministres des finances. M. Sella leur recommandait loyalement de s’imposer. M. Scialoja leur a répété de toutes ses forces ces recommandations salutaires. Ils ont fermé l’oreille jusqu’à ce qu’il fût trop tard. Ils se sont donné la satisfaction de proclamer de belles sentences. Ils se sont nourris de réminiscences de la république romaine complètement hors de saison aujourd’hui. De même que le sénat romain après la bataille de Cannes vendait aux enchères le champ sur lequel était campé Annibal aux portes de la ville, ils ont pensé qu’ils donneraient un magnifique exemple de fierté patriotique en revendiquant avec éclat comme leur propriété Venise et le fameux quadrilatère. Par là, au jugement des hommes les plus expérimentés, de leurs amis les plus sincères, ils ont gâté leur situation. Par ces menaces inconsidérées, ils ont irrité un ennemi qu’ils avaient intérêt à apaiser, afin qu’une fois entré sur le terrain de la conciliation, on pût négocier et traiter de la cession de la Vénétie à des conditions équitables, sur lesquelles, quand on eût été de sang-froid, on serait vraisemblablement tombé d’accord.

Quelle est donc l’origine de cet étrange état des choses où l’Europe, comme un navire à la dérive, obéit à un courant qui l’entraîne graduellement vers la guerre ? Comme on vient de le voir, on ne saurait citer une grande force sociale qui la pousse à cette fatale solution. Il est plus impossible encore d’assigner à la guerre