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peut en faire un crime ni au modèle sur lequel elles avaient été coulées, ni à l’armurier qui les a fondues.

Grâces en soient rendues à Dieu pour la liberté et pour nous ! De pareilles situations ne se voient pas deux fois dans l’histoire d’un peuple. Certes nos divisions sont grandes encore, et l’unanimité de sentimens est loin de régner parmi nous. Il s’en faut pourtant, convenons-en, que nos divisions d’aujourd’hui atteignent la même profondeur et par conséquent développent la même inflammation qu’autrefois. D’abord nos dernières révolutions ont pu être folles ou téméraires, mais elles ont été clémentes et n’ont point laissé de traces meurtrières derrière elles. Le sang de nos pères ne coule point entre nous, et Némésis n’est point assise à nos foyers. Puis, malgré l’ardeur des dissentimens qui subsistent, un pas, un grand pas est fait vers l’union, et les fondemens de la société moderne, les principes de 1789 (pour les appeler par leur nom connu, malgré ce que ce nom a de banal et de vague), ont triomphé dans tous les esprits. Ils sont admis par tout le monde, sinon comme des théories incontestables, au moins comme des faits irrésistibles et des habitudes dont personne ne pourrait se dégager. Ils écrasent de leur poids l’imagination de ceux qui pourraient concevoir la fantaisie de les ébranler. Ils forment au-dessous de toutes nos constitutions politiques comme une base un peu flottante qui tremble et roule sur elle-même dans les jours d’orage, mais dont l’équilibre chancelant résiste pourtant, on l’a vu, aux plus fortes secousses. Par là même a disparu le plus grand obstacle qu’aient rencontré nos pères dans leur essai de fonder la liberté politique. Disons le vrai mot, et présentons les choses sous leurs traits les plus saillans. On conçoit que la liberté ait eu peine à faire son chemin quand une bataille acharnée se livrait entre les débris d’une aristocratie qui ne voulait pas périr et les prétentions contestées de l’égalité démocratique ; mais la voie doit être aplanie devant elle aujourd’hui, puisque le souvenir même du différend est, je ne dirais pas apaisé, mais noyé dans le suffrage universel.

C’est là un résultat chèrement acheté peut-être, mais qui doit nous consoler au moins de beaucoup d’épreuves et soulager de quelques inquiétudes les sincères amis de la liberté. Qui le croirait cependant ? Il y a des gens en France et même des gens qui s’intitulent des libéraux, et qui en paraissent non satisfaits, mais importunés. Cet apaisement de nos luttes sociales, seul espoir de nos libertés futures, les incommode, et on les voit à toute heure et sous tout prétexte occupés à souffler sur les cendres encore chaudes pour rallumer une étincelle du feu éteint. Ils semblent n’avoir d’autre pensée que de chercher s’il n’y aurait pas en France