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s’aperçurent bientôt que le chef qu’ils s’étaient donné froissait à tout instant cette innocente vanité par toutes ses façons de parler, d’être ou d’agir, par une simplicité de langage qui allait jusqu’à la trivialité, surtout par son habitude de mettre toujours les intérêts matériels au-dessus des intérêts moraux, c’est-à-dire, en bon français, d’offrir de l’argent et des places à ses amis au lieu de servir leurs convictions. Entre un parti dont le dévouement a toujours été ou le mobile ou le point d’honneur et un ministre essentiellement calculateur, la distance se fit ainsi chaque jour plus grande. M. de Villèle blessait, sans le savoir, les instincts les plus généreux des hommes mêmes qu’il représentait au pouvoir : faute grave pour un chef, car s’il est utile à celui qui commande de ne pas partager les préjugés ou les emportemens de ses soldats, il lui est nécessaire aussi de rester toujours en sympathie avec leurs instincts. Il est bon que le général ait plus de sang-froid que l’armée, mais il faut pourtant qu’il soit averti par l’ébranlement de sa propre fibre de tous les frémissemens qui parcourent les rangs. On ne se fait obéir longtemps des hommes qu’en prenant sa part de ce qu’ils éprouvent. Il n’est pas même inutile, pour être suivi et aimé d’eux, de flatter un peu leur imagination. Assurément un homme politique n’est pas un héros de roman ; mais pourtant s’il est dans l’ordre d’opinions qu’il veut diriger un type idéal présent à tous les esprits, qui enflamme d’admiration tous les cœurs généreux, que le jeune homme entrant dans la vie rêve de reproduire, et dont les traits soient ceux que la jeune fille prête à son fiancé, un chef de parti fera bien de tâcher de s’en rapprocher pour conserver le prestige nécessaire au commandement. Ce type existait chez les royalistes, il était emprunté aux souvenirs des croisades et de la chevalerie ; mais M. de Villèle, assis à son bureau pour coter la rente et constater le rendement des contributions indirectes, ressemblait vraiment trop peu à un chevalier français.

Par suite de ce désaccord d’humeur entre le parti et son représentant, l’ébranlement ne tarda pas à se glisser dans le corps d’armée de M. de Villèle, et une lente dissolution s’opéra dans la majorité parlementaire, dont la formation avait été son soin favori et le chef-d’œuvre de son art. Les premiers germes de cette décomposition nous sont signalés par M. Duvergier de Hauranne dans ce volume même, quand il nous raconte la querelle de M. de Villèle et du plus illustre de ses collègues. Celui des royalistes en effet qui s’éloigna le plus vite de M. de Villèle (on aurait pu le deviner), ce fut le chantre, le Tyrtée du parti, M. de Chateaubriand. Comment M. de Chateaubriand était devenu le collègue de M. de Villèle et l’associé de ses premiers projets, comment la poésie, dans sa