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intention militante, et qu’il ne demandait pas mieux que de gouverner la France avec les institutions de son goût, pourvu que la France à son tour consentît à se laisser gouverner par lui ; mais là était précisément la difficulté. D’une part, en effet, cette modération de sentimens, tardivement acquise chez M. de Villèle par un travail intérieur dont il ne se vantait pas, était peu connue du public. Quelques initiés seuls s’en doutaient. La masse libérale du pays ne voyait en lui qu’un des chefs du parti qui menaçait ses droits les plus chers. Tout ce qui venait d’une telle source était suspect, et il suffisait qu’une proposition eût passé par sa bouche pour qu’on entrât en défiance. De l’autre, tous les royalistes n’étaient pas ministres et députés en crédit ; tous n’avaient pas les mêmes raisons que M. de Villèle pour voir en beau le cours des événemens et prendre le statu quo en patience ; tous n’avaient pu répandre sur leurs blessures le baume lénitif de la renommée et du pouvoir. Ils restaient groupés derrière M. de Villèle, mais formant un bataillon indocile et très déterminés à pousser leur chef en avant. Ils n’étaient nullement disposés à se contenter de la satisfaction platonique de voir un des leurs au ministère. C’était à celui-là au contraire, à ce favorisé de la fortune, qu’ils s’adressaient impérieusement pour obtenir le redressement de leurs griefs et le rétablissement de la monarchie sur ses vraies bases. Comment M. de Villèle allait-il se tirer d’embarras entre ces craintes et ces vœux contraires ? comment calmer ici les ombrages sans exaspérer là les exigences ? Il ne désespéra pas d’en venir à bout en enseignant à chacun à faire comme il avait fait lui-même, c’est-à-dire à en appeler de la raison au bon sens, à contenir ses désirs dans les limites du réel et du possible, et à subordonner les écarts de l’imagination aux calculs de l’intérêt bien entendu.

Une double préoccupation domina dès lors M. de Villèle : donner à la masse du pays un gage matériel qui lui prouvât par des faits, non par des paroles, que l’état nouveau de la société n’était pas compromis par l’avènement d’un ministère royaliste ; offrir aux royalistes eux-mêmes une compensation matérielle aussi, qui, en calmant les plus cuisans de leurs griefs, les décidât à lui donner quittance ou terme pour le reste ; s’adresser ainsi aux deux partis pour leur faire toucher au doigt des avantages sensibles, palpables, positifs, de nature à les guérir de leurs terreurs ou à leur tenir lieu de leurs espérances chimériques. Je n’entrerai point dans le détail des divers moyens que M. de Villèle mit en œuvre, tantôt sans fruit, tantôt avec succès, pour faire passer en exécution ce plan de conciliation pratique ; c’est à son historien qu’il faut le demander. C’est bien assez de dérober à M. Duvergier de Hauranne