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cavaliers vêtus de burnous blancs, montés sur des chevaux blancs nacrés, donne la gamme claire la plus élevée du tableau ; elle se rallie aux tons blanchâtres des femmes placées sur l’autre bord par une série fort habile de nuances intermédiaires, isabelle, grise, bleu pâle ; le centre est sombre et comme noir, formé par des arbres et par des animaux bai-bruns ; c’est là une disposition heureuse, très bien trouvée, et rendue avec une franchise peu commune. Rien ne détonne, nulle violence, nul effet criard ; tout est bien à sa place ; les couleurs, en se juxtaposant, se font valoir mutuellement au lieu de se nuire ; elles s’éclairent, se soutiennent l’une l’autre, parcourent leur gamme relative sans faire une seule fausse note ; il est impossible de voir un ensemble plus harmonieux ; c’est une symphonie. Les chevaux et les personnages sont exécutés avec précision ; vrais dans leur attitude et par leur costume, ils le sont encore par leur mouvement, qui est exact et bien dirigé. Le paysage a une certaine largeur, mais je dois dire que l’exécution en a été un peu négligée. Le reproche qu’on est en droit d’adresser à M. Fromentin, c’est que son tableau est de deux factures : l’une, très serrée et même un peu sèche pour les figures ; l’autre au contraire, indécise, cotonneuse, entrevue seulement, pour le paysage. Or ces deux factures employées dans la même toile se combattent et se portent forcément préjudice ; elles s’exagèrent mutuellement ; le paysage fait paraître les personnages plus secs qu’ils ne sont, les personnages font paraître le paysage plus mou qu’il n’est. Déjà, à propos de la Curée (1863), j’avais adressé la même observation à M. Fromentin ; sans exiger qu’il ait une seule facture à l’imitation de M. Blaise Desgoffes, qui, à force de peindre des agates, en est arrivé cette année à cristalliser sa manière et à faire des perce-neige, des gants et des iris en pierres dures, on peut lui demander de surveiller cette tendance à trop mêler deux exécutions absolument différentes. Ses tableaux y gagneront à la fois plus de fermeté et plus de souplesse. Un étang dans les oasis, Saharah, est lestement peint d’une brosse grasse qui n’a point redouté les empâtemens. Le vert très sombre des arbres massés en rideaux semble uniquement destiné à faire valoir le ton rouge, presque orange, du soleil couchant. C’est d’une coloration un peu exagérée, mais très savante, et qui est réussie, puisqu’elle obtient l’effet qu’elle a cherché.

M. Hippolyte Lanoue est un adorateur fervent de la campagne de Rome ; à la façon dont il la reproduit, on sent qu’il l’aime de cette tendresse violente qu’elle inspire à tous ceux qui ont vécu dans sa familiarité et à qui elle a dévoilé ses beautés secrètes. Il y a deux ans, M. Lanoue exposait un fort beau paysage pris à l’Acqua