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revanche les chiens sont fort beaux, grassement peints, trop cernés de noir, mais assez vivans et bien sur pattes. Si le dessin, l’ordonnance, la composition d’un tableau sont inutiles, si un seul ton éclatant suffit à constituer une œuvre d’art, il ne faut ni longue éducation ni aptitudes spéciales pour faire un artiste ; le dernier des teinturiers de Damas ou de Bénarès est un grand peintre. J’aime à croire que M. Roybet a de l’avenir, et qu’il ira plus loin qu’il ne le promet aujourd’hui ; mais, avant de me permettre de le juger, j’attendrai qu’il ait exposé un tableau.


III

S’il suffisait de savoir peindre pour être un artiste, M. Courbet en serait un fort remarquable ; cependant ce n’est qu’un peintre, pas autre chose, un très habile ouvrier. L’artiste crée, le peintre copie ; là est la différence essentielle qu’on oublie trop souvent aujourd’hui. M. Courbet a un système qui peut se résumer en peu de mots : le seul devoir du peintre est de ne reproduire que les objets qu’il voit et absolument tels qu’il les voit. Si M. Courbet n’était radicalement dénué d’invention, il aurait un tout autre principe, et jamais il n’eût ravalé son art à n’être qu’un métier. Si l’unique but de la peinture est d’imiter servilement, la photographie lui est préférable, car elle est plus exacte et ne peut jamais dévier. M. Courbet, entraîné vers ces théories baroques par une absence complète d’imagination, n’a jamais compris que bien souvent la vérité inventée est supérieure à la vérité observée ; la première peut être absolue, la seconde n’est jamais que relative. La Vénus de Milo est plus belle que toutes les femmes, c’est le type même de la femme, et cependant ce n’est point une femme. Dans les documens qu’offre la nature, il faut savoir choisir. Prendre au hasard ce qu’on aperçoit, c’est se réduire à l’état de pantographe et abdiquer d’un seul coup toutes les facultés du cerveau ; c’est réduire à néant l’observation, la comparaison, l’élection. Dans le cercle étroit où il s’est condamné à tourner depuis déjà longtemps, M. Courbet a eu bien des défaillances, il a fait parfois de très mauvais tableaux ; qui ne se souvient du portrait de Proudhon ? C’était infliger à ce grand contradicteur un supplice que ses ennemis les plus implacables n’avaient point osé rêver pour lui. Ce n’est pas d’aujourd’hui que M. Courbet expose ; il y a précisément vingt ans, il nous montrait un portrait d’homme, le sien sans doute. Depuis cette époque, beaucoup de bruit s’est fait autour de son nom ; habile, madré comme la plupart de ses compatriotes, fatigué de la longue obscurité qui l’environnait, il a tâté le public avec quelques grosses