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uniforme de toute l’antiquité. C’est là du reste une querelle sans importance, mais elle prouve à M. Gustave Moreau qu’il doit redoubler d’efforts, ne se relâcher en rien de la sévère direction qu’il s’est imposée, et s’agrandir encore à force de travail et de concentration, s’il veut conquérir et garder définitivement le rang qu’il ambitionne.

Sans être d’un ordre aussi élevé que M. Moreau, M. Charles Comte est un artiste de bon vouloir, fort soigneux dans ses ouvrages, et qui les pousse à un degré de fini qui prouve une conscience difficile. Cela est bon, et M. Comte doit le sentir tout le premier, car il n’a point perdu ses peines, et le succès l’a récompensé. Nous avons eu plusieurs fois occasion de louer ses tableaux, et cette fois encore nous ne pouvons qu’applaudir à son Charles-Quint visitant le château de Gand. L’ambitieux qui rêvait peut-être secrètement d’échanger la couronne fermée des empereurs contre la triple tiare des papes, avant de se retirer au monastère de Yuste veut revoir les lieux où il a été élevé. Déjà vieux, atteint par la goutte, appuyé sur un jeune écuyer, suivi par les officiers et quelques femmes de son ancienne cour, il vient curieusement dans les appartemens déserts et regarde. Le trône où il s’est assis souvent est vide, tout est nu, triste, comme démeublé et solitaire. C’est la salle de la Toison d’or ; une immense tapisserie de haute lisse qui couvre toutes les murailles représente Hellé, Phryxus, les Argonautes, Médée, et raconte ainsi l’histoire de cette toison que Jason devait conquérir, et qui, par suite d’une interprétation équivoque, était destinée à devenir l’emblème d’un des premiers ordres de chevalerie du monde. Ce fond de nuances vives, mais très harmonieuses entre elles, est traité avec une entente remarquable du coloris ; en effet, au lieu de nuire aux personnages, ces tons gais les font ressortir et leur donnent une valeur relative fort heureusement trouvée. Toutes les têtes, depuis celle de Charles-Quint jusqu’à celle de son dernier homme de suite, sont fines, expressives, modelées peut-être d’une façon un peu trop restreinte, mais vigoureuses néanmoins et en rapport direct avec le sujet. M. Comte est très harmoniste, et c’est une qualité qu’il partage avec M. Bonnat, dont les Paysans napolitains devant le palais Farnèse sont un bon pendant aux Pèlerins qu’il exposa en 1864. C’est la même habileté dans l’emploi difficile des rouges, des blancs et des noirs ; la coloration est bonne, ferme et profonde ; le dessin m’a paru plus régulier, plus châtié. Tout ce petit tableau annonce que l’auteur est en progrès ; peut-être ne sent-on pas assez le corps de l’homme couché sur le banc de pierre entre les femmes assises ; il eût demandé, je crois, à être accusé davantage et à se