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immortels, ils ont été forcés de faire asseoir Psyché au milieu d’eux. Psyché, c’est l’âme, je ne l’apprends à personne, et je la cherche trop souvent en vain dans le panthéon des artistes modernes. Les peintres ne s’en soucient guère et la trouvent généralement inutile ; aussi je crains d’étonner beaucoup M. Emile Lévy en disant qu’à ses tableaux je préfère la Muse et le Poète de M. Timbal. Ce n’est certes point un chef-d’œuvre, je le reconnais, et il serait bien facile d’en faire une critique sévère ; mais j’y trouve ce je ne sais quoi qui m’arrête, car il essaie de m’arracher au triste milieu où nous vivons pour m’emmener dans un monde supérieur. Le sujet est des plus simples. Dans un bois sacré, éclairé par l’aube, celle du jour et celle de la vie, un jeune homme agenouillé tend la main vers une femme constellée qui semble lui montrer le but lointain où doivent tendre ses efforts. Le vêtement rouge du poète, les draperies blanches et bleues de la muse introduisent dans la coloration générale une dominante tricolore qui n’est point heureuse, quoiqu’elle soit atténuée et presque rachetée par la nuance mystérieuse du fond, que traversent les vives lueurs du soleil levant. On peut reprocher à M. Timbal d’avoir donné à ses personnages un modelé plus apparent que réel, d’avoir fait la tête de la déesse plus petite que de raison, d’avoir trouvé la distinction plutôt que la force ; mais la composition, à la fois chaste et noble, diminue ces défauts. L’idéal est élevé, la tendance excellente, et c’est assez pour mériter de sincères éloges. Être possédé du désir d’aller très haut et de faire rendre à l’art tout ce qu’il contient, c’est le fait d’un véritable artiste, et, même lorsqu’on ne réussit pas, cette recherche du beau est la preuve de qualités supérieures.

Cette recherche, je la trouve toujours chez M. Gustave Moreau, et je ne cesserai jamais de la louer tant que je la verrai dans ses œuvres. Le peintre éminent auquel nous devons Œdipe et le Sphinx ne doit pas se faire illusion ; il y a une réaction contre lui : on est déjà las de l’entendre appeler juste. Il est en opposition flagrante avec tous ses confrères ; il les laisse chercher des succès faciles, s’épuiser sur les côtés sensuels de la peinture, et se contenter des à peu près équivoques qui ont valu quelque bruit à leur nom. Au rebours de tout ce que je vois aujourd’hui, il apporte dans ses œuvres une conscience inébranlable, il ne fait aucune concession, ni aux autres ni à lui-même. Il veut, cela est visible, et je crois qu’il ne quitte un tableau qu’après avoir dépensé à le parfaire toute la somme d’efforts dont il est capable. Comme il ne cherche que la grande et sérieuse peinture dégagée de toutes les petites et médiocres influences du moment, on l’accuse de faire de l’archaïsme ; celaient uniquement à ce qu’il est resté sur les hauteurs où les vieux maîtres ont vécu, loin du bruit des foules, loin des conseils malsains