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ce que les milans, les percnoptères et tous les autres oiseaux de proie chargés de la voirie les aient fait disparaître. J’ai vu, il y a longtemps, décapiter vingt et un chefs albanais révoltés : les têtes des quatre principaux furent plantées sur des pieux de fer au-dessus de la porte d’Eski-Séraï ; les autres furent proprement rangées sur le chaperon de la muraille. Le tableau de M. Gérôme n’en est pas moins digne d’éloges, car il est exécuté avec un soin minutieux ; mais, s’il rappelle le Supplice des crochets de Decamps, il ne le fait pas oublier.

Donc, et c’est avec plaisir que nous le constatons, M. Gérôme nous semble en progrès sur ses dernières productions ; nous en dirons autant de M. Lévy, quoique ses deux tableaux soient loin de nous satisfaire et laissent encore singulièrement à désirer. Ils sont néanmoins, malgré leurs qualités négatives, supérieurs à la Vénus ceignant sa ceinture pour se rendre au jugement de Paris, que nous avions vue avec tristesse au salon de 1863. Dans la pénurie extrême où nous sommes de peintres d’histoire, en présence des artistes douteux et comme énervés par une tradition trop lourde qui sortent de l’école de Rome, on a attentivement regardé cette année du côté de M. Emile Lévy, et l’on s’est demandé s’il ne serait pas celui que l’on attend. Certes M. Lévy ne manque point d’une certaine grâce ; mais ce qui lui fait défaut, c’est le tempérament, sans quoi l’on n’est jamais un artiste. A force de travail et de bon vouloir, on peut certainement produire des tableaux recommandantes : M. Paul Delaroche a passé sa vie à le prouver ; mais sans l’innéité, sans le don mystérieux que la fée inconnue apporte au jour même de la naissance, on ne fera que des à peu près et jamais une œuvre complète. Je prendrai un exemple pour me faire comprendre. M. Paul Baudry est né peintre, il a certaines qualités spéciales qu’il doit à son organisation particulière. A mon avis, il est loin d’en tirer le parti qu’il pourrait, et en cela il est coupable ; mais enfin il n’en est pas moins doué, et je n’oserais dire que M. Lévy ne l’est pas. Dans ce qu’il fait, je sens du soin, un effort de bon aloi, une envie de bien faire qui est très respectable, mais l’œuvre est froide, sans vie. Où en est l’âme ? J’ai beau la chercher avec persistance, je ne puis la découvrir. Est-ce le cerveau qui conçoit imparfaitement et qui paralyse la main ? est-ce la main qui refuse d’obéir aux injonctions du cerveau ? Je ne sais, mais certainement il y a désaccord entre les deux. Et cependant on reconnaît qu’il y a eu une sérieuse dépense de volonté pour réussir. Cela est fort honorable ; mais, hélas ! cela ne suffit pas, car alors chaque homme pourrait être artiste. « En toutes choses, il faut l’étoile, » a dit M. Edgar Quinet, — surtout dans les arts. L’Idylle représente une sorte de Paul et Virginie vêtus à l’antique qui traversent un