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martyrs et des héros, et il se mit à en peindre l’épopée. Il est resté fidèle et d’une façon très désintéressée aux croyances de sa jeunesse ; c’est là, de notre temps, un fait assez rare pour qu’il soit bon de le signaler avec éloge. Comme artiste, il a donné le précieux exemple d’un homme qui ne croit pas que la dimension d’un tableau importe au mérite de l’œuvre. Pourquoi M. Schreyer n’a-t-il pas suivi cet exemple ? L’an dernier, nous n’avions eu que des éloges à donner à la Charge de l’artillerie de la garde, qu’il avait maintenue et ramassée dans un cadre étroit qui la condensait et en faisait vigoureusement ressortir toute la valeur. Je regrette qu’aujourd’hui il ait tenté de s’agrandir, car il s’est singulièrement diminué. Dans la Charge des cuirassiers à la bataille de la Moskowa, je retrouve bien une partie des qualités de M. Schreyer ; mais elles sont affaiblies, amollies et presque neutres. Il me paraît manifeste que ce tableau a été fait beaucoup trop vite. Je sais que l’on peut me répondre comme Alceste : « Le temps ne fait rien à l’affaire ; » il n’en a pas moins une certaine importance et permet de donner à une œuvre toute la force et tout le soin qui lui sont nécessaires pour être remarquable. La touche est à la fois lâche et pesante ; les chevaux, tassés et osseux, ne sont point en rapport avec leurs cavaliers, coiffés de casques trop étroits. L’effet, cherché par toute sorte de moyens, n’a pas été obtenu, quoiqu’il ait été souvent dépassé, ne serait-ce que dans ce cuirassier mourant qui paraît mort depuis plusieurs jours. Le coloris, qui est habituellement une des sciences de M. Schreyer, est fade ; la composition, boursouflée et confuse, manque d’ensemble : elle se répand et ne se concentre pas ; les accessoires sont traités avec un laisser-aller qui m’étonne, et le dessin lui-même me paraît bien hésitant en certains morceaux. C’est là une défaillance qui ne sera que momentanée, j’en suis certain, car ce tableau, malgré les incorrections frappantes qu’il étale aux yeux, prouve que M. Schreyer possède les aptitudes sérieuses et le don inné qui constituent les vrais peintres. Le cheval de l’officier est d’une coloration trouvée et fort heureuse. Blanc, marqué de gris bleu à la tête et aux jambes, rappelant par ces deux tons celui de l’uniforme des cuirassiers, il est placé au centre, comme le point d’où doivent rayonner toutes les nuances voisines, qu’il résume et fait valoir. Cela est bien, et d’un véritable artiste ; le point de départ était excellent, mais le peintre est resté en route, et il a produit une œuvre plus brutale que forte ; l’intérêt est dispersé, la composition ne commence ni ne finit. La tentation était vive, je le comprends, de représenter un peloton arrivant de face et au galop, mais elle était pleine de périls qui n’ont point été évités. Il fallait, à force de soins et de réflexions, parvenir à vaincre