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lorsqu’on les a vues pour la première fois, on a pu être surpris par un aspect singulier ; on a pu bien augurer de l’artiste qui se consacrait à ce labeur ingrat, on a dû le louer et l’encourager, car on a cru que ces essais n’avaient rien de définitif, en un mot qu’ils étaient un début. On s’était trompé. Le peintre, abusé sans doute par les éloges qu’on lui avait adressés, s’est imaginé que du premier coup il était arrivé au but, et depuis il est resté stationnaire, pour ne rien dire de plus. Dès lors les défauts devenaient inexcusables ; ce qui dans le principe ne paraissait que maladresse s’affirmait depuis comme un système. Pendant plusieurs années, nous avons revu les mêmes toiles légèrement peintes par une main qui ignore son métier, nous avons eu à contempler les mêmes compositions emphatiques dont il ne resterait rien, si l’on rendait aux vieilles estampes les personnages qu’on leur a empruntés. Si l’absence de modelé, le dédain de la beauté, une inconcevable négligence dans la facture, un dessin souvent fort irrégulier, suffisent à faire de bons tableaux, ceux auxquels je fais allusion sont irréprochables ; l’auteur est de bonne foi, j’en suis convaincu, mais il fait absolument fausse route, il s’égare, et je crois qu’il fera bien de revenir promptement sur ses pas s’il ne veut se perdre sans espoir de retour. Les ébauches qu’il nous montre aujourd’hui sont puériles tant par la façon trop cavalière dont elles sont exécutées que par l’énorme effet auquel elles visent et qu’elles sont loin d’atteindre. L’une ressemble à un rouleau de papier peint, l’autre a l’air d’une immense plaque de faïence ; dans toutes les deux, les ombres sont à peine appréciables. Le peintre qui a exposé ces deux tableaux paraît être sûr de lui ; il est cruel d’avoir à lui dire qu’il vit dans une illusion dont il doit sortir au plus vite, s’il ne veut faire oublier jusqu’aux premières toiles qui lui ont valu quelque réputation. C’est un talent rare que de savoir ne pas chercher les aventures pour lesquelles on est impropre. Développer ses aptitudes et leur donner tout leur essor, c’est la grande science de la vie. Tel qui est apte à peindre des tableaux d’intérieur ou des scènes champêtres se perd en essayant des compositions grandioses imitées de celles de la renaissance ; tel qui fait d’agréables paysages ne réussira jamais qu’à barbouiller de médiocres Vénus.

Cette faculté précieuse de bien connaître sa voie et d’y marcher imperturbablement se trouvait chez un homme estimable que l’art vient de perdre récemment ; je parle de M. Hippolyte Bellangé. Certes ce ne fut point un maître dans la signification exclusive du mot, car il ne créa rien de nouveau, mais ce fut un artiste honnête, restant avec adresse et modestie dans les limites d’un talent sérieux qu’il cherchait toujours à augmenter. On aurait pu lui demander plus d’ampleur dans le dessin, plus de fermeté dans