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place que sur une toile. La statuaire est un art abstrait, et tout ce qui n’est pas absolument indispensable à une figure doit en être sévèrement écarté. Je crois cette observation très juste et suis fâché d’avoir à l’adresser à M. Clère, car sa Jeanne d’Arc est une statue recommandante. La jeune fille, vêtue en paysanne, la tête couverte d’un large bonnet, le corps enveloppé de la grande robe de bure à gros plis, est bien dessinée, solidement drapée et dans une attitude à la fois très naturelle et très sobre. Toutes les fois qu’on touche à un sujet pareil, on côtoie un écueil redoutable, celui de la pose, pour parler le langage d’aujourd’hui. Il est si facile de se laisser entraîner à donner à Jeanne d’Arc des mouvemens extatiques et prétentieux, et il est si tentant d’en faire une énergumène, demi-pythonisse et demi-convulsionnaire, qu’on doit remercier les artistes qui ont compris et rendu cette douce figure telle qu’elle était : très humble, inquiète, s’ignorant elle-même, et obéissant à cette force interne qu’elle subissait tyranniquement sans pouvoir la réfréner ni la définir. Cet écueil, M. Clère a su l’éviter avec une grande sagesse ; en cela, il a été plus habile qu’il ne le croit peut-être, car il est bien plus aisé de faire théâtral que de faire vrai. Le mélodrame est à la portée de tout le monde, et il faut avoir un esprit déjà distingué pour apprécier et comprendre la simplicité. Penchée sur son prie-Dieu, les yeux levés vers le ciel, où siège son interlocuteur invisible, Jeanne écoute la voix mystérieuse qui lui indique la route au bout de laquelle se trouve l’abandon et se dresse le bûcher des sorcières et des relapses. La tête est d’une beauté singulière qui n’a rien de mièvre, qui n’a rien de masculin, mais qui porte la double empreinte de la jeunesse et de l’énergie. La bouche est ferme et loyale, elle s’ouvrira pour le commandement et jamais ne proférera un mensonge. L’œil est inquiet, étonné, tout près d’être ravi. J’aime peu le geste par lequel Jeanne, à l’aide de sa main, fait pavillon autour de son oreille ; c’est un peu puéril et peut-être trop indicatif. Les voix qui lui parlaient étaient toujours entendues, car elles sont de celles qui parviennent à travers tout, à travers la distance, le bruit et l’espace. Cette statue est bonne, et j’ai plaisir à la louer, car, outre une vérité remarquable, elle contient cette nuance d’idéal sans laquelle les œuvres d’art ne sont qu’un travail d’ouvriers.

Je n’aurais plus rien à dire de la sculpture, si M. Soytoux, qui, s’il m’en souvient, obtint en 1848 le prix dans le concours ouvert pour une statue de la République, n’avait exposé le buste de Paul de Flotte. Le buste est en plâtre, bientôt il sera coulé en bronze. Ici même[1] j’ai raconté la mort de Paul de Flotte ; il tomba en

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1861.