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guerre étrangère à l’horrible nécessité de distinguer dans la mêlée intérieure où était le vrai devoir ! Cette armée, formée en dehors des anciens cadres, et dont les officiers n’étaient pas nobles, n’en était pas moins aux yeux de la reine la pure armée de l’émeute : c’étaient là, pensait-elle, les vainqueurs de la Bastille, « les plus grands drôles de Paris, » comme disait Mirabeau, cette même tourbe qu’elle avait vue venir à Versailles le 6 octobre, qui envahissait le château pendant la journée du 20 juin et qui s’était déjà souillée de sang. Elle croyait qu’ils seraient écrasés du premier coup sur la frontière, et que la France et Paris s’en verraient délivrés ; c’était là cependant le meilleur du sang de la France, et il ne devait couler que pour le triomphe définitif de la révolution. Marie-Antoinette commettait donc une double erreur, mais que des hommes honnêtes, et qui n’avaient pas les mêmes motifs d’entraînement que la reine, ont commise aussi. Je ne parle pas seulement des Français qui restèrent après le 20 avril dans les rangs de l’émigration, et qui ne croyaient pas apparemment trahir les vrais intérêts de leur pays ; mais voyez M. de Bouillé : il accepte un commandement jusque dans l’armée étrangère sous Gustave III. M. de Bouillé est pourtant un honnête homme qui aime ardemment la France et qui la connaît : il faut le voir, dans ses mémoires, hausser les épaules aux fanfaronnades des officiers prussiens et se réjouir secrètement de nos succès. Et M. de Montmorin ? Ministre des affaires étrangères jusqu’en novembre 91, n’envoie-t-il pas, lui aussi, en avril et mai 92, après la déclaration de guerre, les plans de campagne à La Marick et à Mercy, qui sont à Bruxelles ? M. de Montmorin, caractère faible, mais estimable, croit néanmoins servir la cause de la révolution modérée.

Marie-Antoinette a eu pour tout système politique d’abord le désir avoué de contribuer à maintenir l’alliance des deux cours de Vienne et de Versailles, c’est-à-dire de ses deux familles, — plus tard, le vœu ardent de sauver son mari et son fils par l’unique moyen que le cercle étroit de ses vues lui suggérait. L’isolement et l’abandon immérités qui attristèrent la première partie de son règne expliquent assez qu’elle soit restée tout d’abord étroitement attachée à ses souvenirs ou, si l’on veut, à ses préjugés de race : elle se créait l’illusion d’y rattacher les intérêts de la France. Si ses efforts au temps de la grande lutte n’ont pas dépassé le même horizon, il faut se rappeler que son action était limitée par l’indolence capricieuse du roi : elle respectait l’autorité du souverain ; elle avait appris, à mesure que la vie était devenue sérieuse autour d’elle, et notamment depuis l’affaire du collier, à estimer l’honnête et solide caractère de l’homme. Cette retenue, qu’elle voulut conserver, contribua