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Sur quoi donc édifier cette espérance hardie d’une issue prochaine ? On le comprend bien : uniquement sur l’intervention étrangère. « Je persiste toujours à désirer que les puissances traitent avec une force en arrière d’elles, mais je crois qu’il serait extrêmement dangereux d’avoir l’air de vouloir entrer. » Oui, avant Varennes elle avait invoqué nettement l’entrée des armées étrangères, parce qu’on pouvait espérer que le roi, sortant de Paris, en prendrait le commandement et y réunirait les Français fidèles. Maintenant l’invasion ferait courir le plus grand danger au roi et à la reine, prisonniers dans Paris ; il fallait donc employer seulement la pression diplomatique et la menace armée sur la frontière, tandis que se poursuivrait la négociation avec le parti modéré de l’assemblée. Ces paroles qu’on vient de lire dans le billet du 31 à Mercy : « il est essentiel que mon frère me réponde une lettre pouvant servir de base de négociation, » sont à double entente. Il faut que la lettre ostensible de l’empereur soit pacifique, en ce sens qu’il doit entrer dans le nouveau jeu accepté par la reine et approuver ses relations nouvelles ; mais en même temps cette lettre doit être à demi menaçante, car après tout n’est-ce pas une double crainte qui a conduit ces libéraux aux pieds de la reine : crainte des excès de la révolution à l’intérieur et crainte du châtiment qui pourra venir un jour du dehors. Telle a été certainement la pensée de Marie-Antoinette, et la réponse de Léopold, en s’y conformant, le prouve. En tout cas, la continuation des rapports avec Barnave et l’acceptation de la constitution ont paru de bons moyens pour gagner du temps seulement il ne faut pas croire que la reine ait jamais pris au sérieux cette nouvelle conduite. « Vous aurez sûrement déjà la charte, écrit-elle à Mercy ; c’est un tissu d’absurdités impraticables. Du temps et, un peu de sagesse, et je crois encore qu’on pourra au mains préparer à nos enfans un avenir plus heureux. »

Depuis le retour de Varennes jusqu’au commencement de 1792, date de l’ouverture de la guerre, la reine ne fait plus qu’insister, mais avec une infatigable persistance, sur la formation d’un congrès armé dans quelque ville voisine de la frontière. C’est qu’elle voit les forces de la révolution grandir, la lutte déclarée s’annoncer chaque jour plus terrible, et les souverains qu’elle invoque hésiter à son appel. Nous avons exposé ici même dans un précédent travail[1] combien avait été difficile et pénible l’enfantement de la première coalition. Marie-Antoinette s’en indignait, accusant les

  1. Voyez, dans la Revue du 1er novembre 1865, le huitième article de la série intitulée Gustave III et la Cour de France ; qui traitait spécialement des plans de contre-révolution et de coalition européenne.