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mois de la révolution, on voit la reine se plaindre des terribles défiances que l’esprit public lui témoigne et des calomnies suivant lesquelles elle aurait fait envoyer des millions à son frère Joseph II pour l’assister dans les embarras où il était depuis 1784. La situation devient naturellement pire encore au lendemain des journées du 5 et du 6 octobre ; le roi et la reine sont désormais prisonniers dans Paris, et, bien loin que Marie-Antoinette ait la liberté d’écrire à son frère, on voit Mercy craindre même de lui faire parvenir des environs de la capitale une lettre de Joseph II. L’empereur d’Autriche a d’ailleurs fort à faire dans ses propres états. Il est mal avec la Prusse et avec l’Angleterre, qu’il soupçonne d’exciter sous main la révolte de ses provinces de Belgique ; en guerre avec les Turcs, il est en ce moment même occupé du siège de Belgrade ; enfin, jusque dans l’intérieur de la monarchie autrichienne, il voit se soulever la Bohême et la Hongrie, qu’il a irritées, aussi bien que les pays belges, en les privant de leurs anciens privilèges : les mêmes troubles que l’esprit de nouveauté suscite ailleurs, l’esprit de tradition les soulève contre lui. Entraîné à l’excès par son goût de réformes, étonné par les résistances, obligé de combattre vers toutes les extrémités de son vaste empire, aigri par la lutte politique comme il l’était depuis longtemps par ses malheurs privés, Joseph II avait accueilli par des marques d’impatience et de mauvaise humeur la nouvelle des mouvemens précurseurs de la révolution française. Oubliant ses propres fautes, il accusait les fautes contraires de ceux qui n’avaient pas su prévenir par des concessions modérées ou, bien étouffer tout d’abord tant d’occasions de malheur. Quand le baron d’Escars, fidèle serviteur de Louis XVI, voulut, par le récit des journées d’octobre, faire appel à son active sympathie envers le roi et la reine : « Pourquoi se sont-ils laissé insulter impunément ? s’écria-t-il ; pourquoi, depuis l’ouverture de l’assemblée, laissent-ils usurper tous les pouvoirs ? » Et il écrivait à sa sœur Marie-Christine, gouvernante des Pays-Bas : « Si je pouvais seulement savoir la reine hors de leurs griffes, je me soucierais bien de ce que feraient ces Français pour se donner une bonne constitution en se détruisant ! »

Évidemment Marie-Antoinette n’aurait pas obtenu de ce frère, bien que dévoué, un secours effectif contre ses propres dangers, tant il était lui-même assailli. Elle ne mit pas du reste son amitié à une si rude épreuve ; la révolution ne commença pour elle qu’avec les terribles journées d’octobre, et son frère allait mourir au commencement de 1790. La reine, pendant ce court intervalle, n’eut qu’à peine le temps de mesurer le péril. Son premier regard fut intrépide. « Je sais qu’on vient de Paris pour demander ma tête,