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pas dans une lettre de Louis XVI insérée sous la même date, et qui traite aussi du jugement que vient de rendre le parlement[1].

Le second exemple par où se vérifie le portrait que nous avons tracé est le témoignage constant des textes authentiques pendant tout le règne sur l’attitude de Marie-Antoinette comme femme et comme souveraine envers les choses de la politique. On lui fait sans cesse répéter dans les lettres apocryphes des expressions comme celles-ci : « Je suis Française jusqu’au fond du cœur, Française jusqu’au bout des ongles… » Il ne faut pas craindre d’affirmer que c’est là une des couleurs les plus fausses. Marie-Antoinette a pu parler ainsi en quelques circonstances et lorsqu’elle se le commandait. Elle a fait plus encore : il n’est pas rare qu’elle parle à sa mère ou à Joseph II, surtout dans les commencemens, de la « tendresse du pauvre peuple » et des « acclamations touchantes. » Plus tard, après de premiers déboires, elle dira encore : « Le caractère de la nation est bien inconséquent, mais il n’est pas mauvais ; les plumes et les langues disent bien des choses qui ne sont point dans le cœur. » Elle n’en a pas moins dit dès 1774 : « Je suis inquiète de cet enthousiasme français pour la suite. » La vérité est qu’aussitôt après son arrivée en France comme dauphine, sa mère, en cela bien imprudente, lui a conseillé de rester bonne Allemande et de se moquer des qu’en-dira-t-on. Marie-Thérèse ne craint pas de la faire servir dès lors aux intérêts de sa politique, et la jeune reine s’est habituée à ne voir de salut pour la France que dans une intime union avec l’Autriche. Dès cette époque, et il en sera de même pendant toute sa vie, quand elle dit « ma patrie, » entendez toujours l’Autriche. Si elle parle de la France, elle dit « ce pays-ci. » Il est bien vrai qu’elle s’exprime de la sorte en des correspondances adressées aux personnes de sa famille, qui sont en Autriche, et avec lesquelles elle continue seulement, dira-t-on, les habitudes de langage de sa jeunesse. Ces habitudes persistantes n’en ont pas moins le tort d’être en désaccord réel avec ses nouveaux devoirs.

A peine est-elle devenue reine, Marie-Thérèse lui a écrit : « Regardez Mercy autant comme un ministre de vous que le mien.

  1. Dans cette même lettre de Louis XVI à M. de Breteuil, si mal datée du 1er septembre 1786, le roi ordonne à M. de Breteuil d’aller reprendre au cardinal le cordon de chevalier de ses ordres. Louis XVI a-t-il pu s’exprimer de la sorte ? Un ecclésiastique ne pouvait être que du Saint-Esprit. De plus Rohan était commandeur en qualité de cardinal (article IX des statuts) et en qualité de grand-aumônier (article X). J’ai vainement cherché un texte autorisant ici l’expression de « chevalier de mes ordres. » Quant à la fausse date, les plagiaires l’ont sans doute empruntée à l’article Rohan de la Biographie Michaud, lequel a pu l’emprunter à la continuation de l’Abrégé du président Hénault par Michaud. Voilà cette bévue cinq fois répétée : lampada tradunt.