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c’est le point sur lequel j’ai vu le plus se scandaliser tous ceux qui vous aiment et qui pensent honnêtement. Le roi abandonné toute une nuit à Versailles, et vous mêlée en société et confondue avec toute la canaille de Paris !… »


Ces reproches étaient durs et durement exprimés ; cependant Marie-Antoinette répondait avec douceur, se retranchant sur l’exagération des gazettes, n’ayant pas de peine d’ailleurs à faire comprendre qu’elle n’était pas seule coupable, dans l’abandon où on la laissait et avec cette étrange apathie du roi par où l’état auquel elle avait droit lui était refusé. C’est ce que Joseph II était homme à entendre ; on sait quelle fut son intervention auprès de Louis XVI : elle réussit. Dès la fin de l’année suivante, Marie-Antoinette mettait au monde Madame, future duchesse d’Angoulême ; le premier dauphin naissait trois ans après, et enfin en mars 1785 le duc de Normandie, le malheureux enfant qui devait être Louis XVII. Ce grand service rendu par Joseph II à son beau-frère et à sa sœur explique les expressions de profonde gratitude que le roi et la reine emploient à son égard dans leur correspondance, et lui-même, écrivant à l’impératrice, a raconté avec une douce et franche émotion quel charme il avait trouvé dans la société de Marie-Antoinette.


« J’ai quitté Versailles avec peine, dit-il, et attaché vraiment à ma sœur. J’ai trouvé une espèce de douceur de vie à laquelle j’avais renoncé, mais dont je vois que le goût ne m’avait pas quitté. Elle est aimable et charmante ; j’ai passé des heures et des heures avec elle, sans m’apercevoir comment elles s’écoulaient. Sa sensibilité au départ était grande, sa contenance bonne ; il m’a fallu toute ma force pour trouver des jambes pour m’en aller. »


Voilà le moment précis où va s’ouvrir pour Marie-Antoinette une nouvelle période. C’est alors qu’il conviendrait de rechercher sa vraie physionomie, parce que son développement moral n’a jamais été plus libre de contrainte extérieure. Dans la période qui précède, ce développement n’est encore aidé ni par le progrès de l’âge, ni par quelque expérience de la vie, ni par la satisfaction d’une partie au moins des aspirations les plus légitimes. Et quant à la période qui suit, c’est pour la reine, en face de la révolution, un temps de compression morale, d’effort et de lutte. L’époque intermédiaire a été décisive : c’est alors que son vrai caractère s’est déployé. Avons-nous, pour ce dernier intervalle de royauté encore paisible et relativement heureuse, d’exactes représentations figurées qui nous la rendent en ce beau moment de sa vie ? Autre sujet de difficile recherche, si l’on prenait à tâche de distinguer, dans la longue série des portraits de Marie-Antoinette, les dates certaines et les pièces