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toute la responsabilité. De là ses premières craintes au sujet de sa fille, qui devait accepter tant de nouveaux devoirs ; mais combien d’ailleurs son affection est profonde et tendre, et par quels témoignages elle tempère ses rigueurs ! Peut-être Marie-Antoinette, à ses heures les plus brillantes, n’a-t-elle jamais recueilli de plus précieux hommages que ces aveux d’une mère à la fois sévère et charmée : « Vous avez quelque chose de si touchant dans toute votre personne qu’on a peine à vous refuser ; c’est un don de Dieu dont il faut le remercier et s’en servir pour sa gloire ou pour le bien d’autrui. » Et encore : « Je suis toujours sûre du succès si vous entreprenez une chose, le bon Dieu vous ayant douée d’une figure et de tant d’agrémens, jointe avec cela votre bonté, que les cœurs sont à vous si vous entreprenez et agissez. »

Marie-Thérèse se montra fort troublée de la disgrâce de Choiseul, échec pour sa propre politique et pour le crédit personnel de la dauphine, et c’est à partir de ce moment surtout que sa correspondance devient inquiète et grondeuse. Qui donnera dans ce Versailles des conseils expérimentés à sa fille ? Ce ne peut être le dauphin, qui a seize ans ; ce sera, dans sa pensée, Mercy, et puis, en sous-ordre, Vermond. Mercy, depuis plusieurs années déjà ambassadeur d’Autriche auprès du cabinet de Versailles, et qui devait conserver ce poste difficile jusque dans les temps où il deviendrait des plus périlleux, allait être en effet l’unique confident que Marie-Antoinette eût près d’elle ; c’est lui désormais qui rend et commente toutes les pensées de l’impératrice-mère, et c’est par lui que passent toutes les lettres pour Vienne. Ce que doit être cette correspondance entre Marie-Thérèse et sa fille, il semble, maintenant qu’on a les pièces authentiques, si conformes aux deux caractères, qu’on eût dû le deviner. Marie-Antoinette, cédant tout d’abord aux entraînemens de son entourage, commet des imprudences de nature à porter atteinte à sa bonne renommée et à son crédit ; les circonstances mêmes de sa vie tout intérieure sont faites pour attrister sa mère. On conçoit donc que les lettres de l’impératrice, portant l’empreinte de son anxiété, mais aussi de son caractère impérieux et de son esprit méthodique, soient une série d’interrogatoires sévères auxquels il faut qu’on réponde rigoureusement. C’est ce que montre tout le volume publié par M. d’Arneth. Marie-Antoinette y écrit par courts paragraphes, dont chacun répond presque exactement, — sa mère l’exige, l’y rappelant au besoin, — à chacun des points précédemment touchés par elle-même. Point de développemens en général, point de récits, très peu d’anecdotes, peu de plaisanteries, surtout point de bel esprit. Ce ne sont pas des billets élégans et bien tournés qu’on demande : il