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historique et morale, mais en même temps, dans ce cas particulier, prévenu à bon droit par un sentiment de pieuse équité ; refusez-vous, quoi qu’il en advienne, de préférer sciemment le mensonge ou l’erreur et de pratiquer enfin l’insulte de la flatterie posthume, vous aurez votre récompense. La légende allait achever son œuvre équivoque ; il n’y avait qu’à interdire les publications de M. d’Arneth, à fermer toute archive, à conserver soigneusement un demi-jour favorable, et puis à laisser circonvenir l’opinion par les pièges intéressés des faiseurs d’apocryphes, attentifs à la flatter et à l’encourager dans ses velléités instinctives. On aurait bientôt vu se dresser de toutes pièces une Marie-Antoinette modelée sur ce que souhaitait la réaction de notre temps : un type de reine toute douce et toute bonne, d’humeur modeste et bourgeoise, un modèle de résignation à tous les momens de sa vie, un mélange effacé de sensibilité romanesque et de bel esprit, de mélancolique tristesse et d’espièglerie naïve, quelques reliefs agréables sans aucune aspérité, en somme nul caractère et, quant à sa bonne renommée en présence d’un prochain avenir, nulle défense contre les efforts inévitables de la critique devenue d’autant plus soupçonneuse qu’elle aurait été mal éclairée. — Au lieu de cette maigre idole, inhabile à se protéger elle-même, voici que s’offre à nous maintenant une jeune princesse, une reine dont la hauteur d’âme était encore à peine connue. Ses erreurs comme femme seront de celles qui se peuvent montrer au grand jour, et l’histoire, avec l’autorité qui lui appartient, saura mieux que la légende confondre la calomnie. Ses erreurs comme reine s’expliqueront ; c’est à l’histoire encore de les juger sûrement, non sans tenir compte de la terrible gravité des temps, de la faiblesse, de la méchanceté et aussi de la solidarité humaine. Marie-Antoinette s’est trouvée engagée dans une double lutte : celle que lui créaient les circonstances difficiles où son mariage l’avait placée comme dauphine et comme reine, et celle qu’elle dut engager pendant la période révolutionnaire. La véritable histoire de sa vie est celle qui rend compte, par une interprétation désintéressée des plus sûrs témoignages, de cette lutte d’abord exclusivement morale, mais ensuite mêlée aux dernières âpretés de la politique. Il ne s’agit pas de ses années de martyre, qu’on peut croire désormais assez connues ; il suffit de les réserver, sans toutefois les mettre en oubli. Elles gardent à la critique, si, devenue sévère à l’excès, elle se croyait en droit d’accuser, le recours de la cruelle expiation noblement subie. Le souvenir en est présent, et ce n’est que justice s’il fait planer sur tous ces récits une pensée de pitié mêlée de repentir.