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auteurs qui peuvent jeter quelque lumière sur l’origine des livres du Nouveau Testament, dont le canon était en voie de formation. Il y a dans ses excerpta bien peu de critique, beaucoup de parti-pris pour la tradition en vigueur autour de lui ; mais cela ne peut que rehausser la valeur des citations qu’il emprunte à la littérature chrétienne primitive lorsqu’elles ne cadrent-que fort mal avec ses propres préférences, ou qu’il ne semble pas en avoir saisi la portée. Or tout un chapitre de l’histoire d’Eusèbe[1] est consacré à nous parler de Papias et de l’ouvrage qu’il avait composé sur les « paroles » de Jésus-Christ. L’intéressant pour nous est de savoir où Papias avait puisé la connaissance de ces paroles : dans nos Évangiles ou dans d’autres documens analogues ? Le vieux presbytre répond lui-même dans un des fragmens reproduits par Eusèbe, et qui devait faire partie de l’introduction adressée par l’auteur à un personnage qui nous est inconnu :


« Je n’hésite pas à t’offrir, coordonnées avec leur commentaire, toutes les choses que j’ai bien apprises et bien retenues des presbytres, après m’être bien assuré de la certitude qu’elles méritent ; car je n’ai pas pris plaisir, comme tant d’autres, dans les discours des grands parleurs, ni dans les assertions des hommes qui nous transmettent des préceptes étranges, mais dans celles des hommes qui reproduisent les commandemens confiés à la foi par le Seigneur lui-même et provenant de la vérité même. Si donc il arrivait quelque personnage ayant suivi les presbytres, je lui demandais ce que ceux-ci disaient, ce que disait André, ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou tout autre des disciples du Seigneur, ce que disent aussi Aristion et le presbytre Jean, également disciples du Seigneur, car je n’ai pas pensé que je retirerais autant d’utilité des livres que de la tradition orale vivante et permanente. »


Après avoir transcrit ce curieux passage, Eusèbe poursuit en faisant une observation à laquelle il tient beaucoup en sa qualité d’anti-millénaire. Papias distingue ici nettement, remarque-t-il, deux personnages du nom de Jean, l’un apôtre, l’autre simplement disciple du Christ, celui que de bonne heure on se plut à charger des actes ou des écrits que l’on répugnait à attribuer à l’apôtre. Eusèbe continue en nous disant que souvent, dans le cours de son ouvrage, Papias invoque le témoignage de ces deux disciples, Aristion et le presbytre Jean, ses contemporains. Il signale ensuite, d’une main malheureusement trop avare, plusieurs passages saillans du livre. Il paraîtrait par une de ces citations que Papias aurait aussi connu « les quatre filles prophétesses » de Philippe dont il est question au livre des Actes (XXI, 9). Il constate ensuite que Papias a rapporté, sur la foi de sa chère tradition orale, des choses

  1. III, 39.