Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortis à différentes dates, l’éclat séduisant dont sa riche imagination savait parer les suppositions les plus chimériques. Il est vrai que tout dans son idée n’était point chimérique. En présence de trois écrits identiques dans certaines parties, dissemblables dans les autres, l’idée de leur indépendance mutuelle, jointe à celle de leur dépendance d’une source commune, est certainement la plus naturelle qui s’offre à l’esprit. Seulement le problème était de telle sorte que cette simple manière de trancher la question était loin de suffire. On aurait pu s’en contenter, s’il n’y avait eu dans les trois Évangiles que des parties communes soudées à des parties différentes ; mais comment expliquer la présence de parties semblables dans Matthieu et Luc par exemple et l’absence de ces parties dans Marc, ou bien le parallélisme de Marc et de Luc aux mêmes endroits où il disparaît chez Matthieu ? C’est pour venir à bout de toutes ces difficultés de détail que, renchérissant encore sur l’Anglais Marsh, qui venait d’échafauder un système analogue au sien, Eichhorn imagina tout un chapelet de traductions et recensions successives de l’Évangile primitif. Cette théorie, s’il eût fallu l’admettre, eût vraiment transformé les premiers chrétiens en fabricans d’Évangiles. — Il y avait eu, disait Eichhorn, un Évangile primitif écrit en hébreu ou plutôt en araméen, dans la langue populaire de la Palestine au temps des apôtres, puis une traduction grecque de ce protévangile, un remaniement araméen du premier document, suivi d’une seconde traduction grecque, après quoi nouveau remaniement, nouvelle traduction, et des combinaisons de ces divers documens entre eux, des copies avec additions, — enfin un dernier remaniement araméen et encore une traduction grecque. C’était vraiment à s’y perdre. La conclusion était que nos trois évangélistes avaient puisé chacun de son côté, tombant souvent sur des sources communes ou semblables, dans cette végétation touffue de documens différens ou identiques, et sans se perdre dans le labyrinthe dessiné par le savant professeur de Gœttingue, on peut concevoir d’une manière générale qu’une pareille théorie se prêtait à tout, expliquant ici la différence, là la ressemblance, se pliant à volonté à toutes les exceptions, à toutes les difficultés de détail, d’autant plus qu’elle était d’une ductilité merveilleuse. Dans le cas où l’on était embarrassé pour se prononcer avec le matériel disponible, qui empêchait de postuler un nouvel intermédiaire, une nouvelle recension araméenne, une nouvelle version grecque ? Aussi les critiques allemands du commencement de notre siècle, Ziegler, Hänlein, Kühnœl, surtout Bertholdt, raffinèrent-ils à l’envi sur ce système, qui finit comme finissent les bâtimens trop lourds pour la base sur laquelle on les construit, c’est-à-dire qu’il s’écroula. L’idée d’une ou