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REVUE DES DEUX MONDES.

rehausse un avocat dans l’estime du monde !… René, René, si je n’avais promis à ma mère de demeurer ici tout le jour…

— Je vous entends, fit l’abbé, vous seriez enfermé chez vous avec ces pensées… Eh bien ! mon cousin, je n’ai jamais eu de courage avec vous, mais il me vient aujourd’hui. Je vous dirai ce que je dois vous dire. Ce n’est pas votre mère, ce n’est pas M. Lescalopier qui ont amené au château cette jeune fille, c’est Dieu.

— Si c’est Dieu, répliqua durement le marquis, il ne faut point lui résister, mon cousin. Aussi bien il est aisé de voir que Mlle de Bochardière connaît toute l’étendue de sa mission et qu’elle nous attend.

— Martel, dit l’abbé, remettez-vous et donnez-moi votre bras. Venez maintenant et croyez-moi. J’étais là, il y a une heure, quand cette jeune fille est arrivée à Croix-de-Vie. J’ai prié pour vous et pour elle…

— Grand merci, répliqua le marquis.

— Tenez pour sûr que c’est une âme fière, reprit M. de Gourio. Peut-être bien a-t-elle souvent péché par orgueil. Vous connaissez ce péché-là. Martel ; mais c’est aussi une âme droite et pure. Comment la jugez-vous si mal, vous qui ne l’avez jamais vue ?

— Je l’ai vue ! s’écria Martel…

— Mon cousin, fit l’abbé, calmez-vous et regardez cela.

Magnus le danois traversait les jardins. Malheur aux massifs et aux corbeilles ! Magnus avait bien le souci des têtes empanachées qu’il mettait par terre et des fleurs rares qu’il écrasait dans sa course ! Il bondit sur la terrasse, il courut d’abord à Violante, puis revint au marquis, et quand il eut fait quatre fois ce trajet en une minute, il se coucha aux pieds de Mlle de Bochardière, appelant d’une voix plaintive son maître, qui ne venait pas assez vite.

— Mon cousin, dit, M. de Gourio en souriant, c’est l’instinct et la fidélité qui parlent. Dieu me pardonne ce que je vais vous dire pour vous plaire ! Ce n’est pas lui seulement qui envoie cette jeune fille…

Et pressant le bras du marquis : — Allons ! allons ! ajouta-t-il tout bas, Martel, c’est aussi le destin.

Si ce n’était point la coutume de M. de Croix-de-Vie de railler » ce n’était pas non plus le défaut de l’abbé, et jamais son esprit paresseux n’avait été si délié, jamais il n’avait tant osé avec son cousin, et il avait bien raison de dire que le courage lui venait.

— Mademoiselle, dit le marquis à Violante, ce paysage sombre vous plaît sans doute ?

— Monsieur le marquis, aucun paysage ne me plaît, répliqua Mlle de Bochardière, que celui que mes yeux ont vu en naissant.