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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

ce que M. le marquis reste alors à vos côtés. Si vous vouliez l’en prier, il s’en ferait un devoir sans doute.

— Mais, riposta vivement la douairière, l’ai-je donc prié de demeurer aujourd’hui ?

— J’espère que non, madame, répliqua Mlle de Bochardière, car c’eût été de votre part un excès de bonté qui n’aurait point manqué de devenir une contrainte incommode pour M. le marquis.

— Ma chère enfant, dit Mme de Croix-de-Vie en souriant, vous serez mère sans doute quelque jour. C’est un plaisir mêlé de peine, allez ! Dieu me garde de vous souhaiter un grand fils comme le mien ! Vous seriez si vieille. Et puis vous vous apercevriez peut-être que l’autorité maternelle n’est qu’un vain mot… Si j’en crois de certains mauvais rapports, — ce n’est pas de votre père au moins que je les tiens, — vous n’êtes pas non plus une fille bien docile.

— Je ne sais, répondit Violante, ce qu’on doit entendre par la docilité, madame. Mon devoir est d’obéir à mon père dans la conduite de la vie ; ce qu’il m’ordonne, je le fais autant que je le peux, mais…

— Mais vous gardez votre façon de penser et de voir.

— Mes goûts, mes pensées, mes opinions sont à moi, madame.

— C’est bien sûr, dit ironiquement la marquise. Voilà précisément ce que me répondait mon fils autrefois, quand je pouvais encore disputer de ces choses avec lui. Le temps de la dispute est passé ; son âge lui donne certainement le droit de conduire où il veut sa pauvre âme, si grande et si folle. Mon neveu de Gourio a raison de dire que son cousin est un héros quand il lui plaît, un héros, un preux et naguère un saint, tout ce qu’il y a de plus pur et de plus noble sous le soleil… Ce n’en est pas moins comme vous un enfant rebelle.

— Madame, dit Violante avec une gaîté étrangement forcée, vous me faites sans doute bien de l’honneur de me comparer, en si peu de chose que ce soit, à M. le marquis !

— C’est qu’il y a vraiment bien de la ressemblance, continua imperturbablement la douairière, si ce n’est pourtant qu’il est malade, et que vous ne l’êtes point.

Violante cette fois ne répondit pas.

— Hélas ! murmura Mme de Croix-de-Vie, bien malade… Il ne faudrait rien moins qu’un envoyé du ciel pour le guérir.

Mlle de Bochardière était toujours muette.

— Ce serait là une belle tâche, reprit la douairière, un dévouement sublime qui trouvera peut-être sa récompense. Ce serait aussi sans doute un trop grand effort pour un cœur où il n’y aurait rien que d’humain. C’est pourquoi je n’espère qu’en un ange… Mais je ne sais où j’ai l’esprit, ma chère enfant, de vous parler sur ce ton. Je vous l’ai déjà dit, il m’a semblé, en vous voyant, que nous