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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Laissez, dit Violante en souriant et en flattant de la main le chien indocile.

Magnus se dressa, appuya ses pattes sur les épaules délicates de sa nouvelle amie et se mit à la caresser de son grand regard doux et clair. — Voilà qui est étrange ! murmura l’abbé. Ne dirait-on point qu’il vous connaît, mademoiselle ?

— Je le crois, fit Chesnel, qui accourait. Je ne serais pas surpris qu’il eût rencontré mademoiselle dans le bois. Ils auront fait tous deux connaissance ensemble.

— Jamais, dit-elle.

— Les bêtes savent bien ce qu’elles veulent, reprit Chesnel. J’ai trouvé dix fois Magnus sur le chemin du manoir, et je l’ai ramené au château.

En disant cela, Chesnel faisait ce qu’avait fait l’abbé, ce que faisait Magnus lui-même, l’intelligent animal ; il regardait Violante. Il la regardait jusqu’au fond de l’âme.

— Eh bien ! s’écria Violante en souriant et en rajustant les plis de sa mante, que les transports de Magnus avaient quelque peu fripée, qu’allais-tu donc faire au manoir, mon pauvre Magnus ?

— Vous chercher, dit Chesnel de sa voix rauque et profonde.

— À bas, Magnus ! fit Violante.

Elle savait désormais que ce chien était celui du marquis.

En ce moment, son père la rejoignit. Il était plus soucieux encore qu’au départ : il lui reprocha de ne l’avoir pas attendu dans la chapelle, mais elle n’y prit aucunement garde. Il l’avertit que Mme de Croix-de-Vie était prête à les recevoir tous les deux. Violante arma son visage. Contre les séductions de la douairière, elle se sentait bien de la force ; mais contre ce.prêtre aux manières attendries, contre ce rude valet qui lui parlait de cet air étrange, mystérieux, presque suppliant, elle n’en avait point. Rien n’avait pu lui faire prévoir l’accueil qui l’attendait à Croix-de-Vie, ni que les cœurs s’ouvriraient sur son passage, ni que l’âme de la maison viendrait au-devant d’elle. Et maintenant elle avait beau se défendre d’une émotion si peu prudente, une source importune de trouble et de douceur n’en coulait pas moins dans tout son être, et il lui sembla que ses yeux, dont le regard ordinairement était si ferme, se voilaient et lui faisaient voir les objets comme en un rêve. Est-ce que la superstition allait l’envahir aussi sur le seuil de cette demeure où elle régnait dans toutes les âmes ? Elle fit un dernier effort pour secouer l’enchantement, pour se rendre à elle-même et retrouver sa froide raison ; elle dit à son père qu’elle serait aise de voir enfin Mme la marquise.

Mais comme ils repassaient tous deux dans les jardins, l’abbé se mit en devoir de les accompagner. Le chien Magnus ouvrait la