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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

Et comme l’avocat avait répondu sans hésiter que ces projets, le marquis ne les connaissait pas : — J’irai donc au château, mon père, avait dit Violante.

Elle avança d’un pas encore et atteignit ainsi la terrasse de l’ouest qui dominait la campagne noire et la rivière endormie sous les saules. Elle se trouvait justement à la place où, le soir précédent, Mme de Croix-de-Vie parlant à son fils de Mlle de Bochardière et lui demandant si jamais il ne lui était arrivé de l’apercevoir, le marquis avait répondu qu’il l’avait vue ce jour même… Si Violante eût pu connaître cette réponse, si elle avait entendu le ton à la fois humilié et méprisant du marquis quand il disait cela !…

Ces jardins superbes s’ouvraient devant la jeune fille : elle se retourna ; tout ce côté du château se développa sous ses yeux avec sa merveilleuse façade brodée, ses myriades de fenêtres chargées d’ornemens, sa haute toiture et ses cheminées orgueilleuses. La pensée vint à Violante que son père avait eu son dessein en la laissant seule au milieu de tant de magnificences et de cet air de grandeur répandu partout autour d’elle. Sans doute comptait-il pour l’éblouir sur ces écussons précieux qui décoraient le front de la maison. Elle sourit. Ce n’était pas la curiosité d’une belle demeure qui l’avait amenée à Croix-de-Vie. Elle jugea enfin que son père l’abandonnait ainsi trop longtemps ; comme toujours, il forçait les choses et les poussait à la critique et à la révolte. Où était-il ? Lentement elle revint vers le porche. Un garde-chasse traversait la cour, puis vinrent deux valets qui causaient ensemble ; ils s’arrêtèrent, la regardant de loin. Mlle de Bochardière rougit vivement, et tout de suite, hâtant le pas, se mit en devoir de regagner la chapelle ; mais, comme elle allait y rentrer, un prêtre lui apparut sur le seuil ; il la salua.

Elle connaissait l’abbé de Gourio. Cette grande figure régulière et blanche ne s’oubliait pas aisément lorsqu’une fois on l’avait vue. Elle demeurait dans la mémoire comme ces longs fantômes blancs qui glissent le soir dans les prairies et qui ne manquent jamais de repasser devant nos yeux quand nous songeons au brouillard et au pâle automne. Le salut de M. de Gourio plut fort d’ailleurs à Violante ; c’était un salut courtois, et loyal, car, si l’abbé était prêtre, il était aussi gentilhomme et le meilleur homme du monde avec cela. Le pli noir qui obscurcissait le front de Mlle de Bochardière en aurait été effacé peut-être ; mais elle ne pouvait prendre son parti sur la situation choquante où la mettaient la distraction et l’oubli de son père ; plus que jamais elle s’indignait de l’étrange façon qu’il avait là de l’introduire dans cette maison. — Mademoiselle, lui dit l’abbé, faisant mine de lui livrer passage, si vous veniez ici pour prier, que je ne vous arrête point !

Si elle connaissait la figure de l’abbé au bois dormant, jamais