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pour Frau, et met à rompre cette lance ou plutôt cette lyre en l’honneur d’un substantif tant de zèle, de chevalerie et d’inspiration, que le nom de Frauenlob lui en est resté à travers les âges.

La femme fut à elle seule tout le romantisme du moyen âge. On s’en partage en quelque sorte la théorie, les poètes de race romane, les troubadours espagnols et provençaux s’attribuant davantage le domaine physique, fouillant et caressant le désordonné, le graveleux, matérialisant le sujet, alors que les autres vont l’éthérisant et le divinisant à outrance. La vie de la femme est une vie toute d’amour, de pureté ; la femme elle-même n’est plus une simple femme, c’est une vertu guidant les hommes vers les tabernacles de Dieu et de la nature. Extases sans fin, variations éternellement renouvelées sur un thème qui ne change pas et dont la monotonie produit l’écœurement ! Schiller, que toute fadeur avait le privilège d’agacer, causant un jour avec son ami Falk, caractérisait très vertement, bien qu’en exagérant un peu, comme il convient à un poète irritable, la corde sensible et critique de cette poésie d’éternel féminin. « S’il prenait fantaisie, disait-il, aux merles et aux bouvreuils de la forêt de rimer leurs chansons et de publier des almanachs galans, je parie un contre cent qu’ils n’inventeraient point autre chose. Quelle rapsodie que tous ces minnelieder ! quelle pauvreté d’idées dans toutes ces plaintes et complaintes ! Un jardin, un arbre, un buisson, et dans ce buisson une amourette ! En vérité, le premier friquet venu perché sur son toit de chaume connaît cette note et la chante mieux. Et le sentier qui poudroie, l’herbe qui verdoie, les fleurs qui sentent bon, les fruits qui mûrissent et la branche sur laquelle, au soleil, l’oisillon gazouille, et l’automne et l’hiver et toutes les saisons qui se succèdent et passent sans rien amener que l’ennui et encore l’ennui[1] ! » L’épigramme, pour avoir du trait, n’est cependant pas irréprochable ; ni Walther de Vogelweide, ni Godefroid de Strasbourg ne méritent ce fier dédain. Leur lyrisme, sous les mille fleurs dont il s’émaille, a des élans de cœur très prononcés et parfois, dans la peinture de la femme, des raffinemens psychologiques qui vous font songer à Goethe ; d’ailleurs quelle étrange condamnation d’un genre de poésie lyrique, de venir proclamer que les oiseaux, s’ils s’en escrimaient, ne s’y prendraient pas autrement ! Et c’est Schiller, un Souabe, qui parle ainsi ! Quel poète au contraire, se nommât-il Victor Hugo, ne se ferait gloire de chanter comme l’oiseau, d’interroger ces hymnes qui sont dans le cou gonflé du rouge-gorge ?

Schiller, qui décochait si galamment les épigrammes, Schiller,

  1. Voir le Weimarischer Jahrb., II, p. 225.