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industrie. L’Angleterre elle-même ne peut se soustraire à la loi commune. Sa position insulaire peut la protéger contre d’autres attaques, elle ne la défend pas contre la loi de solidarité qui unit dans l’ordre économique tous les peuples riches et producteurs. L’Angleterre s’était installée pour la paix sans limites. Ses hommes d’affaires avaient multiplié jusqu’à l’abus les sociétés de crédit. D’une part, ces sociétés s’étaient mises à la poursuite de profits décevans en commanditant au dehors toute sorte d’entreprises de travaux publics, d’industrie et de commerce ; de l’autre, elles empruntaient aux grandes banques de dépôts des moyens de crédit qui paraissaient inépuisables. Ce mécanisme des sociétés financières entées sur les banques de dépôts, à la fois si puissant, si délicat et si téméraire, fonctionne à merveille dans les temps calmes, lorsque les capitaux sont confians, lorsque les valeurs mobilières qui représentent les chances futures des capitaux engagés trouvent à s’échanger facilement contre l’argent comptant. Tout se détraque et tombe en ruine quand l’universel moteur, la confiance, vient à faire défaut. Il est certain que le coup porté à la confiance et qui retentit violemment sur les institutions financières anglaises est venu de l’ébranlement de la paix continentale. Jamais on ne vit dans toute l’Europe avec une semblable simultanéité apparaître dans des proportions aussi vastes la dépendance étroite qui lie l’existence matérielle des sociétés modernes à la bonne conduite de leurs rapports politiques. Cet enseignement sort de la situation présente avec la plus poignante et la plus inexorable autorité. Il montre tout ce qu’il y a de barbare à vouloir, dans notre civilisation moderne, substituer brutalement les procédés destructeurs de la guerre aux fécondes influences de la paix. La leçon est là, sous nos yeux, toute parlante et agissante, et on ne voudrait pas la comprendre, et on n’en profiterait point pour prévenir des maux plus graves, et on la contemplerait d’un regard hébété par la folie ou la férocité ! Personne parmi ceux qui peuvent quelque chose pour conjurer de tels maux ne sentirait l’aiguillon de la responsabilité et l’élan d’un dévouement humain ! Non, nous ne pouvons le croire.

On a encore le temps de sauver, si l’on veut, la paix de l’Europe. L’Allemagne et l’Italie se couvrent, il est vrai, de soldats. La négociation poursuivie entre la Prusse et l’Autriche sur les armemens est close, et la conclusion, c’est que chacun déclare qu’il n’attaquera point et que tout le monde arme. La Prusse mobilise tous ses corps d’armée ; les états moyens de la confédération réunissent leurs contingens de guerre. L’Autriche a ses deux grandes armées du nord et du sud. Plus de cent mille Italiens ont été réunis avec une promptitude que l’on n’avait point prévue sur la ligne du Pô. Quinze cent mille hommes s’apprêtent ainsi dans l’Europe centrale pour la boucherie des combats. Malgré ce que ces mouvemens ont de redoutable, on a encore contre l’imminence d’une conflagration deux garanties dilatoires. Chacun des belligérans en expectative proteste qu’il ne prendra