Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/484

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commencé. Elle profitera sans doute à bien des esprits ; puisse-t-elle profiter surtout à M. Quinet lui-même ! Puisse-t-elle le conduire à de nouvelles méditations et dégager les vérités enveloppées encore au fond de son âme orageuse. Son action, si utile déjà, serait bien autrement féconde, s’il parvenait à mettre d’accord ses sentimens et ses formules. Il ne s’est pas entièrement affranchi, on le voit trop, de l’esprit de défiance et de soupçon qui fut le grand mal des révolutionnaires. Ses aspirations d’aujourd’hui et ses principes d’autrefois se livrent un perpétuel combat. Le vrai moyen pour lui de retrouver la paix, c’est de respecter tous les élémens de vie que le Créateur a mis au fond de nos âmes. Pourquoi cette prétention de retrancher quelque chose à l’œuvre de Dieu ? On ne taille pas l’humanité comme l’arbre d’un jardin. Tel rameau où vous voulez mettre la serpe, le croyant desséché à jamais, est peut-être celui qui portera le fruit de l’avenir. Philosophie, religion, science, la révolution mal comprise supprimait tout pour emprisonner l’humanité dans la geôle d’un stoïcisme farouche ; le génie moderne dit à toutes les forces de l’âme : épanouissez-vous ! Il n’y a qu’une chose qu’il ne tolère pas, c’est l’intolérance. Je ne hais que la haine, voilà sa devise.

Cette foi de la société nouvelle dans la libre expansion de l’humaine nature est le plus rassurant des symptômes. Si l’auteur la partageait comme nous le désirons, s’il ne ressentait pas encore contre telle ou telle forme de la pensée religieuse les défiances d’un autre âge, verrait-on chez lui ce découragement qui semble le dernier mot de son livre ? Dans son poème d’Ahasvérus, il y a plus de trente ans, M. Quinet nous montrait l’église du moyen âge désespérant de son œuvre ; aujourd’hui, à la fin de son enquête sur la crise immense de 89, il nous montre la société issue de la révolution jetant le même cri de détresse. Ces deux scènes, si différentes de forme, si semblables au fond, qui se répondent à trente ans de distance, que signifient-elles en réalité ? Dans Ahasvérus, les saints, les rois, les vierges, tous les mystiques héros du moyen âge, se levant de leurs tombeaux pendant la nuit des morts, se tournent vers le Christ de la cathédrale et lui disent : O Christ, pourquoi nous as-tu trompés ? Dans les dernières pages du nouveau livre de M. Quinet, la société se lève et crie : Pourquoi m’as-tu trompée, ô révolution ? Où sont les biens que tu m’as promis ? où est cette humanité meilleure qui devait se montrer digne des libertés conquises ? — Et telle est l’amertume de ce réquisitoire que la révolution semble avoir passé sur la terre comme les plus vaines songeries du moyen âge. Injuste plainte des deux côtés ! Le moyen âge ne pouvait enfermer les destinées du christianisme dans ses