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remonter le courant ides idées : on n’arrête pas le genre humain, et ceux qui tentent ces aventures y périssent tôt ou tard ; mais quand une nation, entraînée dans la nuit de la mort, rentre librement, spontanément dans la voie de la lumière et de la vie, si c’est là une réaction, avouez que les réactions de ce genre sont la condition du salut. Est-ce donc reculer que sortir de l’abîme ? Se mettre en mesure de recommencer l’action, est-ce retourner en arrière ? Pour moi, lorsque je contemple de haut, à la manière de M. Quinet, les mouvemens tumultueux de la révolution, je n’aperçois que deux périodes où le génie de la France ait marché en avant : la première, quand l’enthousiasme de 89 ouvre une ère d’espérance où toutes les classes réconciliées, toutes les forces de la patrie ranimées à la fois, pourront se déployer librement sur le terrain de l’égalité conquise ; la seconde, quand cette même nation, après la terreur, épuisée, mutilée, se relève peu à peu, reprend goût à la vie, et retrouve son âme. Quels sont les hommes qui ont eu l’honneur de représenter ce mouvement ? Camille Jordan et Royer-Collard. Le rapport de Camille Jordan, le discours de Royer-Collard sur la liberté religieuse à la tribune des cinq-cents en 97, sont aussi beaux à mon avis que les plus belles paroles de Mirabeau et de ses émules à la tribune de la constituante en 89. Royer-Collard et Camille Jordan ne parlent pas plus en leur propre nom que Mirabeau et Barnave n’expriment des opinions individuelles ; les uns et les autres, ils ont derrière eux tout un peuple. C’est le peuple qui a rouvert les églises avant le premier consul ; c’est le peuple qui, par la bouche de Royer-Collard, a redemandé la religion chrétienne, antérieure à la vieille monarchie et destinée à lui survivre. Ces détails, si négligés des historiens, ont été mis récemment en pleine lumière par un écrivain protestant animé d’un esprit vraiment libéral, M. Edmond de Pressensé[1]. Son livre est plein de renseignemens précieux sur cette reprise toute spontanée de vie religieuse, premier essai en France de la grande doctrine américaine qui sépare le spirituel et le temporel. Il y a là des faits nouveaux, des faits qui ont passé inaperçus, ensevelis qu’ils étaient dans les annales des persécutés, et dont l’examen attentif donnerait à réfléchir.

Mais à chaque jour suffit sa peine et à chaque homme sa tâche. La tâche de M. Quinet a été surtout de faire appel aux consciences et de prouver aux fils de la révolution que la libre vie de l’individu, fruit de la conviction religieuse, était un contre-poids indispensable

  1. L’Église et la Révolution française, Histoire des relations de l’église et de l’état de 1789 à 1802, par M. Edmond de Pressensé. In-8°. Paris, 1864.