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la réforme, des protestans qui mettaient le protestantisme en péril. C’était Michel Servet, qui niait la trinité, Jérôme Bolsec, qui repoussait la doctrine de la grâce, Pierre Gruet, qui se révoltait contre la discipline ecclésiastique, Valentin Gentilis, qui réclamait la liberté de penser. C’étaient encore les libertins, hommes ou femmes, légers de conduite, légers de paroles, qui considéraient la révolution de Luther comme un affranchissement des lois de la morale. Voilà les ennemis de Calvin ; sa dictature s’exerce au sein même de son parti : le réformateur veut prouver au monde que la réforme n’est pas une école de licence, qu’elle est au contraire la restauration du christianisme. Quel rapport entre ces foudres du dictateur de Genève et celles dont l’ardent écrivain aurait voulu armer la main de la révolution ? Si la réforme a fait son œuvre, c’est qu’elle avait une foi. Où était la foi religieuse de la révolution ?

Il ne suffit pas de s’écrier : « O Jean Huss, ô Luther, Zwingle, Savonarole, Arnauld de Bresse ! humbles moines, pauvres solitaires ! rendez le courage à ces tribuns déchaînés… Ce que vous avez affronté tout seuls du fond de vos cellules quand le monde était contre vous, les hommes du peuple, environnés de la force, de l’amour d’une nation, n’osent pas même imaginer trois ou quatre siècles après vous ! Ils prétendent tout changer, et le courage leur manque pour abattre ce que vous avez déraciné… Où est le secret de votre force ? où est le secret de leur faiblesse ? » Si M. Edgar Quinet a seulement voulu dire qu’une pensée religieuse eût été pour la révolution française le plus solide fondement, rien de mieux ; c’est la grande idée qui domine son ouvrage, et d’où il a tiré déjà, d’où il tirera encore, on va le voir, des conséquences aussi neuves que profondes. S’il a pu véritablement penser que l’extirpation des cultes chrétiens aurait favorisé l’éclosion d’une foi nouvelle, c’est un démenti à ces enseignemens de l’histoire dont il a été si souvent l’interprète inspiré. La religion naît dans les cœurs sous un souffle d’en haut, elle conquiert les âmes une à une par la vertu de l’exemple, elle leur ouvre une vie spirituelle plus haute, plus riche, plus rapprochée du père de toute vie. Si elle possède tout cela, nul obstacle ne saurait l’arrêter, et ce n’est pas à une société fille du christianisme et de la philosophie qu’il faut demander la prédication par le glaive.

Mais pourquoi redire ici des vérités acquises au domaine commun ? M. Quinet les connaît mieux que personne. Je suis de plus en plus persuadé que ces fureurs ont été une crise dans le développement de ses idées sur la révolution, crise d’enthousiasme, ivresse sacerdotale, dont il n’a pas cru devoir effacer la trace, et qui au fond ne signifie pas autre chose que ceci : point de conscience