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Mais où est-elle, cette religion ? où sont-ils les hommes en qui rayonnera cette flamme divine ? Ils tardent bien à paraître. Il faut qu’ils paraissent pourtant, il le faut ; sinon, la révolution est en danger. Des écrivains d’une autre école que M. Quinet se sont rencontrés avec lui dans l’expression de ce même sentiment ; les esprits les plus fins, les écrivains les plus maîtres de leur plume ont proclamé comme lui que la foi religieuse eût seule pu servir le XVIIIe siècle dans l’accomplissement de ses grandes œuvres, ils ont déploré que la persécution ou l’indifférence ait privé la France, aux heures du péril, de ses plus religieux, par conséquent de ses plus utiles serviteurs. Qu’on relise les pages éloquentes où M. Saint-Marc Girardin expose l’état moral de la France dans les vingt dernières années du règne de Louis XIV. C’est le commencement du XVIIIe siècle, le point de départ de la révolution. Au moment de rompre avec le despotisme du vieux roi, la France peut choisir entre quatre écoles d’opposition très distinctes, les protestans, les jansénistes, les amis de Fénelon, les libertins du Temple. Les protestans étaient persécutés, les jansénistes exilés, les amis de Fénelon fort mal en cour ; ce sont les libertins que la France a suivis, en remplaçant, il est vrai, la frivole coterie du Temple par cette grande littérature où des tribuns refaisaient eux-mêmes leur éducation avec celle du pays et passionnaient les âmes pour l’éternelle justice. Ces grandes maximes, dit très bien M. Saint-Marc Girardin, ces grandes maximes de justice, d’égalité, de liberté, que la société française avait apprises dans l’école chrétienne, elle voulut les rapprendre dans l’école philosophique. « Mais je ne puis pas ne point regretter, ajoute-t-il, qu’il ait toujours manqué à l’esprit du XVIIIe siècle, à l’esprit de 89, la vertu qui vivifie et consolide les grandes doctrines, c’est-à-dire la foi religieuse, cette vertu, et, à vraiment parler, cette force que lui eussent donnée ou les protestans, ou les jansénistes, ou Fénelon, et que n’a pu lui rendre le déisme éloquent et presque chrétien de Jean-Jacques Rousseau[1]. » Voilà, ce me semble, la vraie solution des difficultés qui troublent si noblement la conscience de M. Quinet : la société française a voulu rapprendre à l’école philosophique les principes qu’elle avait appris à l’école chrétienne, d’où il est résulté que la France de 89 a cru pouvoir se passer du christianisme pour poser les fondemens de la cité nouvelle.

Si M. Quinet s’était borné à dire pourquoi la France du XVIIIe siècle avait été obligée de refaire elle-même son éducation, s’il s’était contenté de montrer ce grand peuple abandonné de tous les pouvoirs supérieurs, église, royauté, aristocratie, et jeté dans

  1. Tableau de la littérature française au XVIe siècle, pages 406-425.