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qu’il y ait quelque part un Dieu inconnu qui inspire l’œuvre de 89, sans quoi cette grande œuvre, incomplète tant qu’on voudra, mais qui a changé la face de l’Europe, serait un phénomène incompréhensible. Pendant toute une partie de sa carrière, avant d’entreprendre cette critique de la révolution qui vient de soulever tant de problèmes, M. Quinet a été persuadé que ce Dieu inconnu s’était manifesté dans le génie même de la France de 89, et qu’un développement naturel ferait jaillir les dogmes dont le monde nouveau serait illuminé. Cette conviction est encore manifeste dans les premiers chapitres de son ouvrage. Une composition si vaste n’est pas née d’un seul jet ; comment ne pas voir dans les contradictions de l’auteur les mouvemens successifs de son ardente pensée ? Il croit donc à ce Dieu inconnu, il croit à ce principe divin de la révolution quand il commence son enquête ; de là, au début du livre, le calme, la sérénité, l’impartialité magistrale, qui contrastent d’une façon si poignante avec la désolation de la fin. Que lui importe, en ces premières heures d’enthousiasme, que la religion de l’ère nouvelle n’ait pas éclaté sous une forme visible ? Le Dieu est là, il le sent, il le devine. Patience ! son jour éclatera. Deus nescio quis, habitat Deus.

Telle est la substance du premier livre intitulé les Vœux. En expliquant les vœux du tiers-état, du clergé, de la noblesse, des non-catholiques, l’auteur exprime surtout ceux qu’il forme lui-même, et ces vœux se résument en cette invocation qui avait retenti depuis tant d’années dans chacun de ses ouvrages :

Viens donc, ô Dieu nouveau ! tout oracle t’appelle.

Cette confiance dans l’idéal de la révolution explique la beauté paisible des pages suivantes. Ni l’ouverture des états-généraux, ni le serment du Jeu de Paume, ni la prise de la Bastille, ni les journées d’octobre, ni le retour du roi ramené de Versailles à Paris, enfin aucune de ces grandes scènes de 89 ne sollicite le pinceau du peintre qui trouvera bientôt des couleurs si neuves, des images si puissantes, pour mettre en tout leur jour l’âme des personnages tragiques, Mirabeau ou Robespierre, Louis XVI ou Charlotte Corday. Le caractère spiritualiste et religieux de son œuvre se révèle dès le commencement dans le procédé du récit. Où les autres ont cherché des peintures tumultueuses, il cherche des hommes. Quelques traits lui suffisent pour retracer les mouvemens irrésistibles d’une nation soulevée, traits sobrement choisis, fortement dessinés, véritable modèle de la narration philosophique où l’idée jaillit naturellement de la combinaison des détails. Comme il fait comprendre en peu de mots l’immense popularité de Necker, quand la cour le renvoie à