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extraordinaire de la lutte qui va étonner le monde. Ces deux Frances, ces deux sociétés que sépare un abîme, « quelle puissance, s’écrie-t-il, pourra les accorder ? » Si l’on répond : « La force, » il réplique aussitôt : « Mais qu’est-ce que la force dans les choses de l’esprit ? » La force ne peut donc rien ici, c’est la foi qui fera tout. La foi qui échauffe, qui vivifie, qui régénère, la foi qui brise les vieux tabernacles et transporte les montagnes, voilà le ferment divin dont la révolution a besoin. Pourquoi donc cette foi est-elle si timide chez ceux qui devraient la posséder ? Pourquoi les protestans n’osent-ils prendre la direction du mouvement, eux dont les ancêtres ont donné le signal des grandes révolutions modernes dans l’Europe du nord ? « Il sort un faible murmure de La Rochelle, de Nîmes et des Cévennes si bien réduites au silence par les dragonnades ; mais aucun écho ne le répète. » Et quel murmure ? Un tressaillement plutôt qu’une prière, le tressaillement des membres disloqués par une torture de deux siècles. Le moindre serf du mont Jura, M. Quinet le remarque avec raison, parlait alors plus haut que ces vaillantes églises de la réforme. Un autre en conclurait que la révolution de 89 est exclusivement une révolution politique et civile, que chaque nation a son génie, que le génie démocratique de la France, ami de l’unité, de la communauté, de la centralisation, peut bien osciller du catholicisme à la religion naturelle et de la religion naturelle au catholicisme, mais qu’on ne le verra en aucun temps susciter ces grandes crises dogmatiques, produit de la vie individuelle au sein de la conscience religieuse. N’avait-elle pas assez à faire, cette France du XVIIIe siècle, pour renouveler la face de la société sur le plan de ses philosophes ? Si elle n’avait pu se décider à suivre les réformateurs chrétiens du temps de Luther, qu’avait-elle à leur demander après Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Turgot, vingt autres encore dans les rangs inférieurs, c’est-à-dire après des hommes qui se glorifiaient, — non sans raison à leur point de vue, — d’avoir plus fait que Luther et Calvin ? Voilà ce qu’un historien simplement politique aurait vu dans le silence des églises réformées à l’heure où la révolution éclate. Tout autre est M. Edgar Quinet. Les études de sa vie entière lui ont appris combien est profonde cette pensée de l’orateur latin : cuncta religione moventur. Bien différent des voltairiens, qui attribuent à des législateurs civils les institutions religieuses de l’humanité, il a prouvé que la religion est à l’origine de toutes choses, que tout vient d’elle, lois, mœurs, gouvernemens, qu’elle est le foyer de toute vie, le principe de toute civilisation. Bâtir sur un autre fondement, c’est bâtir sur le sable. Si le catholicisme, dès le premier jour, est hostile à la révolution française, si le protestantisme, épuisé par deux cents ans de servitude et de supplices, n’a plus seulement la force d’élever la voix, il faut bien